Historia : fortes inquiétudes quant à la cession du journal de Croque Futur au groupe Les Echos-Le Parisien (LVMH)

Dans quelques semaines Historia passera du groupe Les Editions Croque Futur (Sciences et Avenir-La recherche, Challenges, L’Histoire) au groupe Les Echos – Le Parisien (LVMH), qui en était déjà actionnaire minoritaire depuis mai 2021. Une vente qui n’est pas sans poser questions, à commencer par la crainte d’une modification réactionnaire de la ligne éditoriale. Le sort des pigistes est aussi des plus flou.

Le journaliste Franck Ferrand sera le nouveau directeur éditorial d’Historia, remplaçant Guillaume Malaurie, (qui rejoint Challenges). Historien de formation, ayant animé de nombreuses émissions d’histoire depuis les années 1990 en radio essentiellement, il est actuellement animateur de l’émission « Franck Ferrand raconte » sur Radio Classique (filiale du groupe Les Echos-Le Parisien) et éditorialiste au sein du magazine d’extrême-droite Valeurs Actuelles. Il a aussi collaboré à C News et n’a pas caché dans le passé sa proximité avec Eric Zemmour. «En aucun cas, nous ne souhaitons que le magazine devienne la proie d’amalgames. De même, certaines de ses approches historiques suscitent la controverse dans la sphère académique», a communiqué le comité éditorial d’Historia, un comité d’historiens universitaires. Il a aussi rappelé que l’ADN du titre de vulgarisations scientifique était « une neutralité absolue d’un point de vue politique et idéologique ».

Même crainte du côté des représentants syndicaux de Croque Futur, dont la CFDT. Consulté sur la cession du fonds de commerce Historia à la société SFPA (groupe Les Echos-Le Parisien), le CSE a émis le 15 juin un avis défavorable, « motivé en grande partie par la décision unilatérale de l’acquéreur de changer le directeur éditorial d’Historia au profit d’une personnalité controversée dans la communauté scientifique des historiens, et qui s’est de surcroît illustré ces derniers mois par ses prises de position contestables ». Le CSE rappelle que Franck Ferrand a été congédié de Historia en 2022 pour des positions jugées incompatibles avec la ligne défendue par les magazines scientifiques du groupe Les Editions Croque Futur.

Les risques psycho-sociaux sont réels. Ils sont décrits dans le très approfondi rapport d’expertise du cabinet Sextant, commandé par le CSE. En cause : le conflit de valeurs, entre le progrès que constitueraient moyens financiers nouveaux, dont a réellement besoin le titre et la perte de l’indépendance politique voire une orientation extrême, non respectueuse de la déontologie journalistique et de la rigueur historique, d’autant que l’investissement sur les réseaux sociaux est perçu comme une tentative d’exister sur le plan sociétal, et d’être le vecteur d’autres objectifs.

Mais les risques psycho-sociaux sont également alimentés par d’autres points :

  • –  Sentiment pour l’équipe d’être des pions au service d’une marque, la marqueHistoria, au détriment d’un projet éditorial concerté.
  • –  Nouveau rachat et déménagement après un précédent en 2016, qui plus estpour aller vers des locaux plus petits et du flex-office, dont on connait lesdégâts, mais aussi la perte d’un espace dédié à la documentation.
  • –  Crainte d’une forte charge de travail, avec une nouvelle formule et un nouveau site internet en projets, ce qui s’ajoute à la perte de huit jours de RTT, justifiés par LVMH par la réduction de leur temps de travail hebdomadaire (passage de 39 heures par semaine à 37h30), et alors que les niveaux de rémunération sontfaibles.
  • –  Absence de réponses claires de LVMH sur l’organisation future du magazine,son organigramme, business-plan, ses projets.

Cela pourrait amener certains à vouloir partir. Mais non sans provoquer un véritable dilemme, au vu de leur âge moyen assez élevé (51 ans), ce qui ne joue pas en faveur d’un repositionnement professionnel rapide.

Une clause de cession va être ouverte par LVMH, qui prévoit donc d’en imposer les contours ! Les 12 salariés en CDI d’Historia (dont 11 journalistes + 1 administratif) sont concernés oubliant d’inclure dans le transfert les rédacteurs payés à la pige !

La CFDT et les autres représentants syndicaux le contestent et continuent de demander qu’ils soient pris en compte. Alors que le vendeur affirme avoir adressé la liste des rédacteurs pigistes au repreneur, celui-ci dit cependant ne pas l’avoir obtenue ! Le flou reste grand les concernant et la CFDT et les autres représentants syndicaux continuent d’exiger des réponses et le respect de la Convention collective des journalistes pour tous.

Paris, le 28 juin 2023

Contact : journalistes@f3c.cfdt.fr

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