Essayons de résumer cette affaire de conflit d’intérêt simplement. Une entreprise de presse prive ses salariés d’intéressement qu’elle justifie par son niveau d’endettement, les magistrats chargés de statuer sur le bien-fondé de cette privation lui donnent raison, alors qu’ils sont liés à l’entreprise à laquelle ils collaborent dans le cadre d’activités de formation. Pour la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui exige l’équité des procès, a été bafoué. Victoire des syndicats, dont la CFDT, qui avaient porté cette affaire en justice !
Pour détailler davantage : En 2007, une restructuration au sein du groupe de presse Wolters Kluwer (informations professionnelles, notamment juridiques) donna lieu à la transmission des patrimoines de neuf sociétés du groupe à la société par actions simplifiée WK France (WKF), qui pour cela souscrivit un emprunt de 445 millions d’euros, ce qui eut pour effet de créer un endettement interdisant d’envisager tout versement de participation aux salariés. En 2012, quatre syndicats, dont la CFDT, assignèrent les sociétés WKF et HWKF devant le tribunal de grande instance, afin d’obtenir la condamnation des deux sociétés à reconstituer une réserve spéciale de participation salariale pour les exercices 2007 à 2022. Cette bataille judiciaire fut longue (voir tous les détails plus loin) et en 2018, la Cour de cassation cassa l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 2 février 2016 (favorable aux salariés) et décida de mettre fin au litige. Or, un mois plus tard, Le Canard Enchaîné révélait que trois des six magistrats ayant siégé dans cette affaire étaient des collaborateurs réguliers de WKF, assurant notamment des formations rémunérées pour des professionnels du droit.
Le 14 décembre 2023, la Cour européenne des droits de l’Homme a établi qu’avait été bafoué le droit à un procès équitable :
« Tout en soulignant que la contribution des magistrats à la diffusion du droit, à l’occasion notamment d’événements scientifiques, d’activités d’enseignement ou de publications, s’inscrit naturellement dans le cadre de leurs fonctions, la Cour constate que les relations professionnelles des juges F., H. et P. avec l’une des parties à la procédure étaient régulières, étroites et rémunérées, ce qui suffit à établir qu’ils auraient dû se déporter et que les craintes des requérants quant à leur manque d’impartialité pouvaient passer pour objectivement justifiées. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ».
Lire le communiqué intersyndical :
Lire le communiqué de la CEDH :
Ce que nous enseigne ou nous rappelle cette affaire :
- Les élus CSE ont des droits : droit à obtenir des infos financières sur leurs entreprise, droit d’êtres consultés, droit de mener des batailles judiciaires quand les intérêts des salariés sont bafoués
- Les entreprises de presse peuvent collaborer avec des experts et notamment avec des magistrats mais ceux-ci doivent se déporter en cas de conflit d’intérêt
- La déontologie dans nos entreprises de presse n’est pas à vérifier seulement dans les contenus mais aussi dans toutes ses dimensions
Nous exprimons toute notre estime aux militants syndicaux qui n’ont pas lâché l’affaire toutes ces années et portent haut nous valeurs d’indépendance, de déontologie et de partage équitable des richesses !
Nous envoyons tous nos encouragements à tous ceux qui aujourd’hui tiennent tête à leurs directions quand celles-ci sont manifestement dans le faux, et engageons tous les salariés à s’engager syndicalement pour les droits de tous !