Dans le cadre des Etats généraux de l’information, CFDT-Journalistes publie son cahier revendicatif au sujet de l’Education aux médias et à l’information. Il ne s’agit pas d’une position globale sur l’EMI en France mais sur la place des journalistes et du journalisme dans ces dispositifs.
Afin que l’EMI se développe dans des conditions appropriées au but recherché – réconcilier les citoyens avec l’info – CFDT-Journalistes demande :
- Que la formation des journalistes intervenants en EMI soit considérée comme capitale, devienne à terme obligatoire, et que des moyens y soient consacrés par les employeurs
- Que la commande publique en EMI soit marquée par un état d’esprit visant à donner goût à l’information journalistique et accorde une place importante aux intervenants journalistes
- Des rémunérations à la hauteur des tâches pour les journalistes intervenants et donc une contribution suffisante de l’Etat
- Une sécurisation des interventions de journalistes par un salaire, en direct ou vie une structure intermédiaire
- Une reconnaissance de leur statut de journalistes professionnels par la carte de presse
1. DES INTERVENANTS FORMES :
C’est LA priorité. L’EMI se développe et va avoir besoin de plus en plus d’intervenants, en plus des professionnels qui comptent ces tâches dans leurs fonctions, comme les professeurs documentalistes. Ce besoin devient un marché. Or, l’EMI est tout sauf une démarche « naturelle » et facile et exige une méthode rigoureuse et une déontologie, sans quoi le risque est grand d’en faire tout et n’importe quoi. C’est pourquoi CFDT-Journalistes estime qu’un bon intervenant, qu’il soit journaliste ou pas, est un intervenant formé : à la démarche d’EMI et à la pédagogie. Être pédagogue, viser des objectifs, les évaluer, cela s’apprend. Des formations ont vu le jour, s’adressant à des publics larges ou plus resserrés, et notamment des diplômes universitaires. La F3C-CFDT a aussi été à l’origine, au sein de la CPNEF de l’audiovisuel, de la création d’un CCP (certificat de compétence professionnelle) « intervenant en éducation aux médias et à l’information » particulièrement adapté à former des professionnels de l’information, journalistes en premier lieu. Ce nouveau « diplôme » pour le moment délivré par huit organismes de formation agréés pour cela, atteste de l’acquisition d’une base commune en terme de démarche. Son point fort : faire réfléchir le professionnel à sa propre pratique journalistique et lui faire développer un projet d’atelier sur lequel il est amené à dresser un bilan. Cette démarche de réflexion et de doute nous semble essentielle dans la démarche d’éducation aux médias et à l’information, qui nécessite une sincérité et une humilité de ses intervenants professionnels de l’information. L’EMI ne doit pas être un simple partage d’expérience ni un « cours » à plaquer. Les intervenants doivent aussi être outillés pour se préparer à dialoguer avec leurs publics dans un contexte de défiance. Dans cette perspective :
- Nous demandons que l’État fixe un cap de 100% d’intervenants formés, d’ici 3 ans. Le temps que les cohortes d’intervenants déjà actifs se forment ou fassent valider leurs acquis de l’expérience, et que ceux qui commencent le fassent bien outillés. Cette formation doit selon nous impérativement reposer en tout ou partie sur la démarche journalistique. Les intervenants formés doivent être choisis prioritairement.
- En ce qui concerne les journalistes intervenants, nous demandons aux entreprises de presse d’intégrer pleinement dans leurs plans de développement des compétences des modules de formation à l’animation d’ateliers/projets en EMI, avec un fléchage prioritaire vers les formations certifiantes reconnues par les partenaires sociaux (CCP de la CPNEF-AV). Nous leur demandons d’y donner pleinement accès à leurs pigistes (avec défraiement des journées par l’employeur).
2. DONNER GOUT A L’INFORMATION JOURNALISTIQUE ET UNE PLACE AUX INTERVENANTS JOURNALISTES :
Il nous semble prioritaire que le champ très large de l’EMI – celui des médias et de l’information en général – sanctuarise une place importante à l’information journalistique. CFDT-Journalistes soutient par ailleurs l’objectif de travailler à débusquer les fake news, ou à décrypter les images de communication, mais estime que le succès des fake news et la confusion entre information et communication ne pourront reculer sans parallèlement donner le goût de l’information journalistique, le plus grand danger étant de ne plus s’informer du tout. Expliquer comment travaillent les journalistes (y compris en faisant part de leurs propres questionnements, cf point 1), montrer l’immense pluralisme médiatique existant, publications à l’appui (comment ne trouver son compte nulle part quand il existe plus de 4000 titres de presse en France, plus de 1000 radios, etc)… S’informer n’est pas seulement une condition au bon exercice de la démocratie, c’est aussi un plaisir et un levier d’émancipation personnelle : celui de la découverte du monde, des autres, de l’émulation intellectuelle. Éduquer aux médias et à l’information doit donner toute sa place à cette dimension positive. Par ailleurs, bien évidemment les journalistes n’ont pas le monopole de l’intervention en EMI et ne sont qu’une partie des professionnels amenés à développer l’EMI, à côté notamment des professeurs documentalistes. Cependant CFDT-Journalistes estime nécessaire, dans le panel des interventions, la rencontre directe avec les professionnels de l’information que sont les journalistes. Les journalistes sont les plus à même de transmettre à la fois leur méthode, leur élan, leurs règles, leurs contraintes et leurs questionnements, et de contribuer à une vision plus concrète et subtile du métier, pour le comprendre et réduire la défiance. Faire pratiquer aux jeunes et moins jeunes est aussi un accélérateur de compréhension formidable. Et cette rencontre humaine est des plus efficaces pour donner goût à l’info.
- Nous demandons que la puissance publique porte une vision résolument engagée de goût pour l’information journalistique, et de valorisation des ateliers faisant intervenir des journalistes (parmi les autres professionnels). L’offre portée par l’Éducation nationale et les critères de financement des projets par la commande publique devront le prendre en compte.
3 – DES REMUNERATIONS A LA HAUTEUR DES TACHES :
Dans le cas où des journalistes sont amenés à collaborer à des projets d’éducation aux médias, il est capital que leur rémunération soit à la hauteur de leurs qualifications, afin de ne pas déprécier ces missions qui exigent un panel de compétences important, et autant que possible une formation préalable (point 1), mais aussi en vue de ne pas dissuader de s’y engager des personnes qui auraient beaucoup à y apporter. Les journalistes pigistes étant nombreux à s’y consacrer car davantage maîtres de leur agenda, il est capital que la partie EMI de leurs missions ne contribue pas à les précariser davantage. Sans pigistes il sera difficile de monter en puissance en volume d’EMI en France, et donc il faut leur permettre de se professionnaliser. Dans tous les cas, et sauf exceptions, CFDT-Journalistes ne soutient pas les interventions bénévoles. Les tarifs des interventions sont souvent trop bas – en tenant compte de toutes les tâches, souvent en deçà du SMIC horaire -, notamment car ils ne comptent pas assez le temps hors interventions en présentiel (réunions préparatoires, préparation individuelle, débriefing, tâches de montage des projets, de restitution…).
- Nous demandons aux commanditaires – associations, Éducation Nationale, DRAC, Départements… – de rémunérer les interventions en EMI des journalistes en prenant en compte l’intégralité de leurs tâches, y compris leurs temps de préparation, débriefing et transport. Tout montant horaire ou à l’intervention devra donc l’intégrer.
- Une grille conventionnelle des rémunérations doit être mise en place à l’issue d’une négociation paritaire, dont la CFDT. Cette grille sera adossée à la convention collective des journalistes (avec clauses miroir possibles dans la convention collective des sociétés de portage salarial notamment). Elle sera simple mais comprendra au moins deux montants « plancher », correspondant à des degrés d’expertise et/ou de temps de préparation différents. Dans tous les cas aucune intervention ne pourra être rémunérée moins de 70€ brut/heure (heures hors présentiel incluses), et toujours en salaire (voir point 4).
- Les établissements scolaires et diverses structures d’éducation populaire n’ayant souvent pas beaucoup de moyens, l’État doit les aider à financer ces actions et donc y consacrer une enveloppe budgétaire accrue.
4 – DES INTERVENANTS PAYES EN SALAIRE :
Il existe plusieurs cas de figure concernant les journalistes intervenants en EMI : des journalistes embauchés à temps complet dans une rédaction et qui interviennent sur leur temps de travail, sans perte de salaire, l’employeur prenant à sa charge le coût ou facturer au client la prestation, des journalistes embauchés à temps complet mais intervenant sur leur temps libre, se faisant rémunérer pour l’atelier « en direct », et des journalistes rémunérés à la pige, rémunérés « en direct » par les structures. Ces derniers étant le vivier le plus important, et ayant un apport singulier, du fait de ne pas porter la voix d’un média en particulier, et d’être nourris de multiples expériences, il est capital de les sécuriser. Or la rémunération sur facture est devenue la norme. Dans une moindre mesure, les droits d’auteur. Recevoir un salaire est rare, et systématiquement refusé de la part de l’Éducation nationale ou des DRAC. CFDT-Journalistes ne cesse de le dénoncer. Obliger à créer une micro-entreprise n’est pas cohérent pour des journalistes soumis dans le code du travail à la présomption de salariat, et n’est pas protecteur (pas de cotisations, pas de contrat de travail). S’investir dans l’EMI ne doit pas être synonyme de réduction des droits sociaux ou d’insécurité. Nous demandons que la norme de mode de rémunération de l’intervenant devienne le salaire. Pour cela nous demandons à tous les acteurs d’y prendre leur part. Nous estimons qu’il n’est pas souhaitable d’aller vers une seule solution, mais que par mesure de souplesse, il est possible d’y parvenir via plusieurs biais possibles :
- PRIORITAIREMENT = Salariat direct : Les institutions scolaires et culturelles (les rectorats, DRAC et Départements) et associations clientes PEUVENT établir des contrats de vacataires. Pour que que les paiements ne deviennent pas un enfer administratif, des formalités simplifiées devront être mises en place.
- Salariat via une ou plusieurs structures (par exemple une par région) dédiée à l’EMI et gérée paritairement, de manière indépendante de l’État. Cette structure nationale faciliterait l’emploi de journalistes intervenants en transformant aisément des factures (moyen de paiement le plus simple surtout pour les « petits » donneurs d’ordre) en salaires. Les cotisations sociales ayant un coût non négligeable venant majorer substantiellement le tarif de l’intervention, cette structure recevra une aide pluriannuelle de l’État permettant de prendre en charge ses frais de fonctionnement et une partie des charges patronales, aide pleinement intégrée dans les objectifs d’éducation aux médias et à l’information de l’État. Ce financement sera conditionné au fait de ne pas être « juste » une structure de portage salarial mais aussi de contribuer à réguler le secteur : respect de la grille conventionnelle des rémunérations (voir point 3) et services de soutien aux intervenants et clients : annuaire des intervenants formés, lien avec les organismes de formation… Cette ou ces structures seraient autorisées à bénéficier des réductions de taux de cotisation prévues pour les journalistes et donc seraient reconnues par la CCIJP comme des employeurs presse. Cette structure serait gérée de façon paritaire, avec donc le regard des syndicats représentatifs des journalistes garant du respect de l’esprit attendu (et sans la présence de l’État, en vue de prévenir toute accusation de collusion).
- Salariat via un employeur régulier. Les employeurs de journalistes engagés dans l’EMI peuvent servir d’intermédiaires entre le client et le journaliste, éventuellement via des conventions tripartites : le média facture au collège par exemple, en tenant compte du coût des charges sociales, et verse une pige (en salaire donc) à son journaliste en retour (voir annexe 1, exemple de Rue89 Strasbourg). C’est aussi une façon pour ces médias de valoriser les compétences de leurs salariés dans des projets dont ils deviennent porteurs et qu’ils ne pourraient pas mener sans eux.
- 1. PRIORITAIREMENT nous demandons à l’État de mettre au point une simplification administrative de recours aux vacataires intervenants journalistes en EMI. L’État pourrait par exemple déployer une interface commune à tous ses ministères facilitant ces paiements.
- 2. Nous demandons à l’État de lancer un appel d’offre (appel d’offre auquel associer les représentants des journalistes) de création de structures intermédiaires dédiées au paiement des journalistes intervenant en EMI et gérées paritairement, de manière indépendante de l’État, et de leur accorder un financement public.
- 3. En solution complémentaire, nous demandons aux syndicats patronaux et à l’Association pour l’Éducation aux Médias (APEM), qui associe les titres de l’Alliance de la Presse d’Information Générale et du SEPM, de valoriser auprès de leurs adhérents le portage d’actions d’EMI de leurs pigistes réguliers.
La CFDT pourra étudier d’autres idées mais toujours sous la forme du salariat.
5. DES INTERVENANTS QUI RESTENT JOURNALISTES :
La Commission de la carte reconnaît comme journalistes professionnels ceux tirant plus de 50% de leurs revenus de la presse, rémunérés en salaire. Les revenus de l’EMI devraient, contrairement à aujourd’hui, compter dans le calcul des revenus ouvrant droit à la carte de presse. Actuellement, ils ne comptent que s’ils sont versés en salaire. Les intervenants ne devraient en aucun cas risquer de perdre leur carte de presse.
Bien évidemment, une carte de presse ne pourrait être accordée si un journaliste consacre la totalité de son activité à l’EMI. La CFDT a demandé à la CCIJP d’ouvrir un groupe de travail sur l’éducation aux médias.
- Nous demandons aux structures ayant recours aux journalistes pour animer des ateliers en EMI de les rémunérer en salaire ou via une structure intermédiaire qui le permette, et donc en adaptant les tarifs à la prise en compte des charges. Il est de leur devoir de considérer que cet enjeu est aussi de leur responsabilité.
- Nous demandons à la CCIJP de considérer que les revenus des interventions en EMI sont des revenus presse, quels que soient leurs modes de rémunération, et cela pour une durée expérimentale de 3 ans, durant laquelle le secteur doit se structurer pour que la rémunération en salaire devienne la norme. Nous estimons que ces revenus EMI peuvent représenter jusqu’à 50% des revenus presse sans compromettre la notion de journaliste professionnel. Nous demanderons à la CCIJP, une fois passé ce délai de 3 ans maximum, de ne considérer que les revenus en salaire, et tous les revenus en salaire, y compris de sociétés de portage salarial n’ayant pas l’agrément d’agence de presse.