Le 15 novembre dernier, un consortium regroupant les propriétaires les plus conservateurs des médias français (Vincent Bolloré, la famille Dassault, Bernard Arnault, Rodolphe Saadé, etc) a annoncé reprendre l’École Supérieure de Journalisme (ESP) de Paris, afin d’en faire, précisent-ils, « un haut lieu de l’excellence journalistique, un centre de formation de référence où se dessineront les contours du journalisme de demain ».
Bien que n’étant pas une des quinze* écoles reconnues par la profession, l’ESJ Paris (sans lien avec l’ESJ de Lille), fondée en 1899, est la plus ancienne école de journalisme. Créée par Dick May, une écrivaine-journaliste heurtée par les dérives d’une grande partie de la presse lors de l’Affaire Dreyfus, elle fut d’abord un département de l’École des Hautes Études Sociales (EHES) et voulait professionnaliser un métier jusque-là sans véritable cadre déontologique, en insistant sur les valeurs laïques et en l’ouvrant aux femmes. Il est donc pour le moins paradoxal que cette école se retrouve aujourd’hui dirigée par les descendants (à cet égard, la présence d’un groupe humaniste comme Bayard nous étonne au plus haut point) de ceux contre qui elle se créa…
L’ESJ Paris va-t-elle devenir la Bolloré School of Journalism ? Il apparaît tentant aux éditeurs de former leurs propres journalistes en les coulant dans le moule de leurs projets éditoriaux. Et cette prise de l’ESJ Paris par un consortium de conservateurs catholiques en est la démonstration. Mais elle va à l’encontre du rôle des écoles adoubées paritairement par l’ensemble de la profession à savoir enseigner non seulement les techniques présentes et futures de notre métier mais également les règles déontologiques d’un journalisme généraliste acteur de la démocratie et défenseur de toutes les opinions.
La CFDT-Journalistes souhaite que les étudiants de cette école soient pris en considération. Ils ont choisi cette école avant ce changement d’actionnaires et il est hors de question pour notre syndicat qu’ils soient pris en otage.
La CFDT-Journalistes s’inquiète également du détournement idéologique que la reprise de l’ESJ Paris par un consortium d’éditeurs conservateurs risque d’entraîner avec un futur projet pédagogique jusque-là très flou (mettre en avant l’économie n’est pas une panacée en soi…).
Partie prenante de la Commission Paritaire Nationale de l’Emploi des Journalistes (CPNEJ), qui examine, entre autres, les moyens de formation de la profession, la CFDT-Journalistes sera vigilante quant aux ambitions à venir de cette école et s’opposera avec vigueur à toutes évolutions problématiques.
À l’heure de la banalisation des idées sectaires et de l’extrême droite, cette OPA sur une école de journalisme n’a rien de rassurant.
*Une quinzième école a été récemment reconnue : celle de l’université de Cergy (site de Gennevilliers).
Paris, le 16 novembre 2024
journalistes@f3c.cfdt.fr
Ajout au 18/11/24 : Communiqué de la section CFDT à Bayard Presse, entreprise ayant investi dans cette école, à lire aussi sur son blog
Bayard et Bolloré, même combat?
La CFDT Bayard a appris avec consternation, vendredi 15 novembre, la participation du groupe Bayard à la reprise de l’ESJ Paris.
Consternation, car cette perspective n’a été évoquée dans aucune instance où siègent des élus représentants du personnel, même confidentiellement comme la loi l’exige dans certaines circonstances. Consternation, en raison de l’état des comptes du groupe Bayard. Quelle entité du groupe Bayard participe à ce rachat? Pour quel montant? Qui a pris cette décision?
Consternation, surtout, en raison du partenariat avec la Compagnie de l’Odet, détenue par la famille Bolloré. S’il y a de nombreuses demeures dans la maison du Père, Vincent Bolloré n’incarne pas la même sensibilité catholique que Bayard, œuvre des Assomptionnistes.
Dessinant un agenda politique implicite, l’éthique journaliste des médias Bolloré ne semble pas compatible avec celle de Bayard, notamment représentée par les dix engagements de La Croix pour l’élection présidentielle de 2022. Qui sera décisionnaire, et à quelle hauteur, au sein de ce que les milieux journalistiques surnomment déjà la «Bolloré School of Journalism»?
De nombreux journalistes de Bayard enseignent dans des écoles reconnues par la profession (ESJ Lille, Celsa, Cuej, Ijba…), ce qui n’est pas le cas de l’ESJ Paris.
Bayard en général et La Croix en particulier reçoivent chaque année de nombreux stagiaires de ces écoles. Qu’en sera-t-il demain?
Autant de questions soulevées par ce rachat inattendu dont nous attendons des réponses claires et précises au plus tard lors du prochain Comité Social et Economique (CSE) qui se tiendra le 10 décembre