Contre les violences faites aux femmes : manifester, et mieux en parler

271 000 femmes ont été victimes de violences par leur partenaire ou ex-partenaire en 2023 (Chiffres Ministère de l’Intérieur). 85% des victimes sont des femmes et 86% des mis en cause sont des hommes. Et les violences faites aux femmes vont bien sûr bien au-delà.

Samedi 23 novembre, en amont de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes du 25 novembre, la CFDT appelle à rejoindre les manifestations qui se tiendront dans toute la France. CFDT-Journalistes appelle tous les journalistes à s’y rendre, et à s’inspirer des ressources que nous vous partageons pour que nos contenus journalistiques contribuent eux aussi à ce combat.

Pour la manif parisienne, RDV à 14h00 à Gare du Nord pour un parcours allant vers République puis Bastille. Préparez-vous à vous rendre sur les cortèges : téléchargez les affiches pouvant être transformées en pancartes.

La CFDT dénonce l’insuffisance et l’inefficacité persistantes de la législation française pour protéger les femmes contre toutes les formes de violence. Les services publics (santé, justice, police, éducation nationale) doivent être renforcés pour mieux sensibiliser, repérer, accompagner.

Lire le communiqué intersyndical d’appel à la manifestation du 23 novembre pour découvrir toutes les revendications.

Car rien ne changera sans une conversion massive des esprits à cet impératif de respect, car le procès des viols de Mazan nous invite collectivement à réinterroger nos conceptions et représentations profondément intériorisées, la CFDT organise aussi une table ronde sur l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, le lundi 25 novembre de 17h à 19h au CESE, à suivre en ligne, sur le site cfdt.fr. Nous sommes tous et toutes concerné·es.



Sarah Chopin

Sarah Chopin, journaliste aux Dernières Nouvelles d’Alsace, déléguée syndicale CFDT dans cette entreprise, 30 ans, témoigne de sa pratique d’éditrice web, pour traquer le sexisme qui se niche également dans le traitement des violences faites aux femmes.

« En tant qu’éditrice aux Dernières Nouvelles d’Alsace, je suis très vigilante à ne pas laisser passer d’éléments problématiques dans les articles. Parmi ce qui me choque : la description physique des victimes.

Je me souviens d’un article où une femme défenestrée par son conjoint était décrite avec de beaux yeux bleus. Cela n’avait aucun sens. Peut-être que le journaliste l’avait fait pour dire du positif sur la victime, accroître l’empathie ? Comme si on allait accorder plus d’importance à une victime jolie. Une autre fois, au sujet de l’ex Miss France victime de son conjoint, elle était décrite comme arrivant au tribunal avec une nouvelle coupe. On ne le ferait pas pour une victime homme ! C’est important que les femmes qui nous lisent sachent que ce qui compte, ce n’est pas leur physique.

Autre exemple : un professeur « trop tactile avec les jeunes filles ». C’est de la minimisation, et ce n’est pas conforme avec la charte d’EBRA sur la parité.

A chaque fois que je fais remarquer des choses comme cela, tout le monde est d’accord avec moi et accepte de modifier, mais on est bien peu nombreux à le voir. Je reconnais aussi que pour des précaires, ça peut ne pas être simple de pointer un mauvais traitement. J’ai la chance d’être en CDI, alors je n’ai pas peur de passer pour la pinailleuse et féministe de service. Il faudrait que davantage de journalistes osent faire remarquer ce qui les choque.

Certains managers prennent la mesure de l’enjeu. Le mien a dernièrement envoyé un mail à son équipe pour nous demander d’être vigilants sur les titres des faits divers : ne pas faire de traits d’humour et ne pas minimiser, car ce sont des faits graves. Il a même cité le compta Instagram Préparez-vous pour la bagarre, de Rose Lamy, qui décortique les discours sexistes dans les médias. C’est très positif. A nous journalistes de nous remettre en question et de ne pas reproduire ce qu’on a fait depuis toujours. C’est une question de responsabilité individuelle. »

Pierre Fontanier

Pierre Fontanier, 46 ans, journaliste à Ouest-France, à la locale de Quimper, avec dix ans de faits divers, et candidat CFDT sur la liste CCIJP pour la Bretagne, témoignage de sa pratique de couverture des violences faites aux femmes.

« Les violences faites aux femmes sont devenues un des principaux contentieux dans le Finistère, comme un peu partout en France : les plaintes ont fortement accru en dix ans, et elles arrivent bien davantage en justice. Donc en tant que fait-diversier, j’ai de plus en plus couvert des audiences ayant trait à ces violences. 

Chez Ouest-France, notre ligne de conduite repose sur notre charte des faits divers : dire sans nuire, montrer sans choquer, dénoncer sans condamner, témoigner sans agresser. Révisée il y a un an, elle comporte un volet sur ces violences faites aux femmes. Elle rappelle les définitions des infractions et délits que sont l’outrage sexiste, le harcèlement sexiste et sexuel et le viol. Elle encourage à publier les témoignages des personnes se présentant comme victimes, même avant un dépôt de plainte. Elle précise les précautions à prendre avant de les publier, les cas où l’on publie les noms des auteurs présumés. Elle rappelle l’impératif de ne rien publier qui permette d’identifier les victimes…

Par ailleurs nous avons une charte pour une écriture non sexiste. Personnellement, mon écriture a évolué. Par exemple, je n’utilise plus la voix passive, comme dans « une femme a été violée ». Je pose à la voix active : « un homme a violé une femme ». On comprend bien la différence de force sémantique. Les victimes ont besoin de lire que c’est quelqu’un qui leur a fait ça.  

Nous essayons aussi de sortir ces violences faites aux femmes du seul fait divers. Il y a le temps de l’audience, mais il doit y avoir aussi le temps du dossier de société, pour prendre de la hauteur sur les affaires. Déontologiquement, on doit amener des clés de compréhension de leur caractère systémique, de comment on en est arrivés là, et ne pas les banaliser. On donne la parole à tous les acteurs de la chaîne : forces de l’ordre qui accueillent les victimes, professionnels des hébergements d’urgence dédiés à ces femmes, etc. On publie très fréquemment en fin d’article une invitation à appeler le 3919. Nous avons un devoir de prévention.»


Récemment, le collectif Nous toutes publiait un rapport sur le traitement médiatique du féminicide, portant sur un échantillon de 4 493 articles de presse écrite, publiés en 2017 et 2022. 

En 2022, il y avait 28 fois plus d’articles de presse écrite mentionnant le terme « féminicide » qu’en 2017. Le traitement médiatique s’est, selon le collectif Nous toutes, globalement amélioré, avec moins de culpabilisation, de déshumanisation des victimes, ou d’essentialisation à leur rôle familial, ou encore de romantisation du féminicide. Moins de biais racistes vis-à-vis de l’auteur également. Les journalistes portent également un regard davantage critique sur le caractère systémique des féminicides et abordent de plus en plus souvent ce sujet sous l’angle des défaillances des politiques publiques. 

Ses suggestions aux rédactions :

  • promouvoir une approche systémique des féminicides à travers une rédaction engagée
  • rédiger une charte pour éviter les biais
  • replacer la victime au centre et respecter ses proches
  • comprendre son rôle de vecteur de sensibilisation de la société
  • catégoriser les articles dans la rubrique « société » ou même « féminicides »
  • étendre le champ d’analyse du féminicide
  • valoriser la parole des organisations féministes et associations d’aide aux victimes
  • anticiper et contrebalancer le discours fémonationaliste

(Lire les détails dans le rapport en téléchargement ci-après)


Le récent rapport de RSF sur le journalisme à l’ère MeToo rappelle notamment l’importance qu’ont eu des enquêtes journalistiques pour amplifier le mouvement #MeToo sur les réseaux sociaux en 2017, et comment depuis, de plus en plus de journalistes dans le monde se sont mis à enquêter sur cette question, parfois en se mettant eux-mêmes en danger, victimes de répressions et de cyberharcèlement notamment. Des médias féministes ont également vu le jour, et prennent ces sujets à bras le corps, comme La Déferlante en France. Les rédactions se transforment, certaines revoient leurs chartes internes, se forment à la lutte contre les stéréotypes dans leurs contenus… Des journalistes se mettent en réseau pour enquêter sur ces sujets, comme les membres du collectif YouPress, en France, avec son enquête Femmes à abattre, qui recense près de 300 meurtres de femmes engagées, perpétrés dans 58 pays entre 2010 et 2022.

RSF adresse aux États, aux plateformes, aux autorités judiciaires et policières et aux rédactions 16 recommandations pour soutenir le journalisme sur les droits des femmes et les violences de genre.

Recommandations aux Etats (déplier)

> Garantir, au nom de la liberté de la presse et du droit à l’information, la protection des journalistes qui travaillent sur des sujets liés aux droits des femmes, ainsi que les professionnels des médias qui les assistent ;

>  Introduire dans le droit pénal la criminalisation de certaines formes de cyberharcèlement avec des circonstances aggravantes pour les auteurs et les responsables de ces infractions lorsque celles-ci visent des journalistes femmes et des minorités de genre. Pour les États membres de l’Union européenne, il s’agit de transposer la directive UE (2024/1385) du 14 mai 2024 sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, en particulier son article 11 qui les invite à inscrire dans leur droit pénal que le cyberharcèlement contre les femmes journalistes peut constituer une circonstance aggravante.;

>  Assurer la protection des journalistes travaillant sur les violences sexistes et sexuelles, notamment dans le cadre des procédures de demande d’asile et d’obtention de titres de séjour ;

>  Encourager les médias, y compris par le biais de financements publics, à se doter d’outils de comp- tage et de mesure de la place des femmes et des minorités de genre, d’une charte d’engagement en matière d’égalité femmes-hommes dans leurs structures, d’outils de formation pour sensibiliser leurs équipes à la parité et à l’égalité.

Recommandations aux autorités policières et judiciaires (déplier)

> Créer des comités nationaux pour la sécurité de ces journalistes spécialisés, qui comprendraient des représentants de la justice, de la police et des associations de journalistes, pour entretenir un dialogue régulier ;

>  Nommer, parmi les forces de police, des agents de liaison chargés de recueillir les témoignages des victimes d’attaques physiques ou en ligne ;

>  Documenter, avec l’aide des rédactions concernées, les attaques visant des journalistes qui travaillent sur les sujets liés aux droits des femmes et des violences de genre afin d’en mesurer l’ampleur.

Recommandations aux plateformes (déplier)

>Sensibiliser le grand public en relayant à titre grâcieux des campagnes de communication sur les violences envers les journalistes spécialisés sur les violences sexistes et sexuelles ;

>  Accorder un traitement d’urgence au signalement des journalistes victimes de cyberharcèlement, ainsi qu’à celui des organisations de la société civile agissant en leur nom, dès la réception d’une notification ;

>  Répondre sans délai aux injonctions des autorités judiciaires qui enquêtent sur des cas de violences envers des journalistes ;

>  Lutter contre les menaces anonymes et les campagnes coordonnées et répétées de harcèlement par les « usines à trolls », en mettant en œuvre toutes les mesures de retrait de contenus et de suspension de comptes prescrites par la loi applicable, et en consacrant des moyens appropriés à la modération humaine.

Recommandations aux rédactions

>  Encourager la mise en place de responsables éditoriaux en charge des questions de genre (« gender editors ») ;

>  Favoriser la participation des journalistes à des réseaux d’investigation transmédias et internationaux ;

>  Former les journalistes à la question du cyberharcèlement afin de leur permettre d’adopter les bons réflexes et comportements face à ce genre de situations (Voir notre rapport Harcèlement en ligne desjournalistes : quand les trolls lancent l’assaut (pp.34-35) ;

>  Protéger les journalistes spécialisés sur ces questions, y compris les fixeurs, et mettre en place desdispositifs d’urgence en interne pour les soutenir, ainsi que des formations de sécurité physique etpsychologique ;

>  Développer des dispositifs d’aides financières pour mieux soutenir le travail d’enquête sur lesviolences sexistes et sexuelles, par exemple sous la forme de bourses dédiées.

  • >  Encourager la mise en place de responsables éditoriaux en charge des questions de genre (« gender editors ») ;
  • >  Favoriser la participation des journalistes à des réseaux d’investigation transmédias et internationaux ;
  • >  Former les journalistes à la question du cyberharcèlement afin de leur permettre d’adopter les bons réflexes et comportements face à ce genre de situations (Voir notre rapport Harcèlement en ligne desjournalistes : quand les trolls lancent l’assaut (pp.34-35) ;
  • >  Protéger les journalistes spécialisés sur ces questions, y compris les fixeurs, et mettre en place desdispositifs d’urgence en interne pour les soutenir, ainsi que des formations de sécurité physique etpsychologique ;
  • >  Développer des dispositifs d’aides financières pour mieux soutenir le travail d’enquête sur lesviolences sexistes et sexuelles, par exemple sous la forme de bourses dédiées.
Recommandations aux rédactions (déplier)

Encourager la mise en place de responsables éditoriaux en charge des questions de genre (« gender editors ») ;

>  Favoriser la participation des journalistes à des réseaux d’investigation transmédias et internationaux ;

>  Former les journalistes à la question du cyberharcèlement afin de leur permettre d’adopter les bons réflexes et comportements face à ce genre de situations (Voir notre rapport Harcèlement en ligne desjournalistes : quand les trolls lancent l’assaut (pp.34-35) ;

>  Protéger les journalistes spécialisés sur ces questions, y compris les fixeurs, et mettre en place desdispositifs d’urgence en interne pour les soutenir, ainsi que des formations de sécurité physique etpsychologique ;

>  Développer des dispositifs d’aides financières pour mieux soutenir le travail d’enquête sur lesviolences sexistes et sexuelles, par exemple sous la forme de bourses dédiées.


Pour aller plus loin, vous pouvez aussi lire les ressources de l’association de femmes journalistes Prenons la Une :

Ses recommandations pour un traitement journalistique le plus juste possible des violences contre les femmes. LIRE ICI

Son analyse du traitement des violences sexistes et sexuelles (VSS) dans 9 médias locaux (Marseille) en ligne. LIRE ICI

Sa cellule d’écoute pour les journalistes témoin ou victime de violences sexistes et/ou sexuelles, notamment : soutien@prenonslaune.com (anonymat et confidentialité garantis).


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