La CFDT-Journalistes a appris avec consternation l’assassinat du journaliste grec d’investigation Giorgos Karaïvaz, le 9 avril, à Athènes. Nous, représentants des journalistes en France, nous associons aux inquiétudes de la profession en Grèce, dans un contexte de montée des menaces contre la liberté d’exercice du métier. La journaliste française Marina Rafenberg, correspondante en Grèce de plusieurs médias français, fait le point sur la situation dont elle est témoin et qu’elle vit au quotidien.
Vendredi 9 avril, en plein après-midi dans une banlieue calme d’Athènes, Giorgos Karaïvaz, journaliste d’investigation qui participait à la quotidienne « les Vérités de Zina » sur la chaîne de télévision Star, est abattu par deux inconnus devant son domicile.
Depuis 2017, c’est le troisième journaliste à être assassiné dans l’Union européenne, après le slovaque Jan Kuciak en février 2018 et la maltaise Daphné Caruana Galizia en octobre 2017.
La profession a immédiatement réagi encore sous le choc : « Les journalistes n’ont pas à être intimidés par des meurtres, des violences et des menaces. Nous défendrons la liberté de la presse et le travail sans entrave des journalistes contre toute pression, menace et pratique mafieuse ou criminelle », a précisé dans un communiqué le syndicat des journalistes de la presse quotidienne athénienne, Esiea.
En Grèce, les groupes anarchistes s’en prennent assez souvent aux locaux des médias privés, détenus par des oligarques et souvent proches du pouvoir. En 2010, Sokratis Giolias, un journaliste d’investigation de 37 ans, avait été tué par un groupe d’extrême gauche « Secte rebelle », qui avait revendiqué l’assassinat. En juillet 2020, le propriétaire d’un tabloïd d’extrême droite, Stefanos Chios, avait été attaqué devant chez lui, blessé à la poitrine et au cou. L’enquête ouverte est toujours en cours.
65è rang de RSF
Les meurtres de journalistes sont rarissimes en Grèce. Mais force est de constater que la liberté de la presse reste fragile et mise régulièrement en danger. Dans le classement mondial de la liberté de la presse, réalisé par Reporters sans frontières, la Grèce se classe en 2020 à la 65e place, parmi les mauvais élèves de l’Union européenne, derrière la France (34e), la Pologne (62e) ou la Roumanie (48e).
Depuis l’arrivée au pouvoir de la Nouvelle Démocratie en juillet 2019, et encore plus depuis la pandémie mondiale, le travail des journalistes est mis à rude épreuve. Les violences policières sont fréquentes. Le 17 novembre 2020, le journaliste grec Antonis Rigopoulos a été frappé par des policiers alors qu’il couvrait une manifestation à Athènes. A la fin de février, des policiers avaient attaqué des journalistes et des photographes en marge d’une manifestation à Athènes, interdite en raison de l’épidémie de Covid-19, blessant sept d’entre eux.
En Grèce aussi, un schéma national de maintien de l’ordre qui inquiète
Le ministère grec de la Protection du citoyen a par ailleurs dévoilé, en janvier dernier, son nouveau schéma national du maintien de l’ordre lors des rassemblements publics (SNMO). Le texte, rédigé sans concertation avec les syndicats des journalistes, prévoit la création d’une “zone spécifique” lors des manifestations, destinée à accueillir les professionnels du secteur.
Les journalistes placés dans ces “zones spécifiques” devront travailler avec un “officier-référent” qui doit assurer la liaison entre la police et les professionnels durant toute la durée des manifestations et leur fournir les principales informations. Ce projet qui a vivement été critiqué n’a pour l’instant pas été appliqué mais continue d’inquiéter la profession et les défenseurs des droits de l’Homme.
Interventions du gouvernement
Des employés de la chaîne de télévision publique ERT se sont également plaints de l’interventionnisme du gouvernement, après qu’une note écrite a été transmise à des producteurs pour ne pas diffuser deux sujets, dont la visite critiquée du premier ministre sur l’île d’Ikaria, où un dîner avec une foule de locaux avait été organisé en plein confinement, sans respect de la distanciation physique. A la fin de 2020, la journaliste Dimitra Kroustalli avait de son côté démissionné de son poste au journal Ta Nea, affirmant qu’elle avait reçu « des pressions suffocantes » à la suite d’une enquête sur le comptage erroné du nombre de cas de Covid-19 opéré par les autorités grecques.
En tant que correspondante en Grèce, j’ai également régulièrement reçu des coups de téléphone du bureau du Premier ministre se plaignant du traitement de certains sujets peu élogieux pour le gouvernement.
Difficile traitement de la crise migratoire
La question qui reste la plus délicate à traiter sur le terrain est la crise migratoire. Les accès dans les camps sont rendus compliqués, les autorités ne délivrant presque pas de permis. Lorsque nous tentons d’accéder aux camps sans autorisation, nous nous exposons à des arrestations. En octobre 2020, sur l’île de Samos, une équipe de journalistes allemands a été interpellée. Les professionnels ont été emprisonnés durant sept heures sans inculpation et sans accès à un avocat.
Lorsque nous évoquons les refoulements de migrants en mer Egée par les autorités grecques, nous sommes accusés par les membres du gouvernement de faire la propagande de la Turquie et de diffuser des « fake news ». Peu après les terribles feux qui ont ravagé le camp de Moria, à Lesbos, la police avait bloqué l’accès des journalistes aux demandeurs d’asile coincés sur un pan de route et devant être évacués par la police vers un nouveau centre.
Dans une lettre ouverte aux autorités grecques signée, le 16 septembre 2020, sept organisations de défense de la liberté de la presse avaient dénoncé « une interférence significative dans le travail (des journalistes) qui les empêche de jouer leur rôle vital de chien de garde ». Depuis deux ans, les journalistes sont aussi l’objet d’une haine grandissante de certains habitants hostiles aux migrants. L’an dernier à Lesbos, le matériel de certains reporters a été fracassé, alors que plusieurs d’entre eux se sont même faits agressés, roués de coups.
La pandémie comme excuse
Si depuis deux ans, la Grèce reste au même rang dans le classement établi par RSF, sur le terrain, je m’aperçois du changement. La pandémie sert d’excuse pour restreindre les mouvements des journalistes, pour les empêcher d’enquêter sur des sujets qui dérangent, pour limiter l’accès aux camps de réfugiés, pour étouffer la parole qui critique la gestion gouvernementale de la crise sanitaire.