Travailler comme journaliste en Russie s’est encore complexifié depuis le début de la guerre en Ukraine. Pour les journalistes Russes, mais aussi pour les journalistes du monde entier correspondants en Russie pour les médias de leurs pays.
Benjamin Quénelle, français, correspondant à la pige des quotidiens nationaux français La Croix et Les Echos, raconte sa position délicate, depuis Moscou.
CFDT-Journalistes : Te sens-tu menacé en tant que journaliste en Russie ?
Benjamin Quénelle : Je ne ressens aucune menace directe, aucune francophobie. J’ai été suivi une fois, mais c’est tout. Pourtant il y a deux changements majeurs depuis le début de la guerre en Ukraine.
1/ La loi sur les fake sur les infos militaires qui s’impose à tous, y compris les correspondants étrangers. Toute personne condamnée pour avoir publié de Russie des infos jugées fausses sur l’armée russe peut prendre jusqu’à 15 ans de prison. C’est en plusieurs étapes : d’abord des peines administratives puis des peines de prison. Pour le moment, même parmi les Russes, personne n’a encore pris 15 ans. Mais l’épée de Damoclès est là. C’est pourquoi la plupart des journalistes anglo saxons sont partis. C’est pourquoi on n’utilise pas le mot guerre car officiellement c’est une opération spéciale de libération de l’Ukraine des forces nazies. Je mets la formule : « opération militaire spéciale du Kremlin en Ukraine » selon la litote officielle.
2/ Tous les correspondants des pays classés inamicaux, c’est à dire ceux qui ont pris des sanctions contre la Russie, reçoivent désormais des accréditations de trois mois et non plus un an. Quatre fois par an il faut donc refaire toutes les procédures pour l’accréditation et le visa, pour le journaliste et tous les membres non russes de sa famille. J’ai de la chance : femme et filles sont russes et j’ai un permis de séjour. Mais en tant que correspondant je sais que tous les trois mois le couperet peut tomber.
CFDT-Journalistes : Tu peux être expulsé à tout moment ou presque ?
Benjamin Quénelle : J’ai l’impression qu’ils ne veulent pas que l’on parte (car ce serait un signal de plus sur l’isolement de la Russie) mais ils font tout pour entretenir le climat d’incertitude sur notre statut. Incertitude, pas insécurité. J’ai mon sac prêt pour un départ urgent, au cas où, pour la première fois de ma vie. Il m’est difficile de définir les lignes rouges ou les signaux qui pousseront à partir. J’ai désormais toujours mon passeport en poche avec les contacts de deux avocats. Et sur mon Télégramme, des canaux anti et pro Poutine. En cas d’interpellation, je peux montrer que je m’informe de toutes parts.
CFDT-Journalistes : Malgré cet exercice compliqué de ton métier, il te semble important de rester ?
Benjamin Quénelle : Oui. Mon rôle à moi n’est pas d’aller, en tous cas pour le moment, sur la zone de conflit. Mes reportages sont à Moscou ou en région en Russie. Il faut faire parler la Russie, pas seulement celle de Poutine. Les Russies sont multiples et complexes. Il y a beaucoup de russophobie en Europe de la part de gens qui ne comprennent pas qu’il y a une Russie en dehors de Poutine. C’est cela qu il faut expliquer et raconter. Pour cela, il faut être sur place.
Mais ce n’est pas simple : avec 19 ans de Russie et famille russe, je prends en pleine figure ces complexités et contradictions des Russes face à ces évènements. Cela devient émotionnel, donc épuisant à la fois physiquement et mentalement.
Le syndicat de journalistes russes JMWU menacé de dissolution
Le 5 juillet, le tribunal de la ville de Moscou a informé le syndicat de journalistes russes JMWU (Journalists’ and Media Workers’ Union) que le procureur de Moscou avait intenté une action en justice pour liquider ce syndicat. En attendant le jugement, le tribunal a décidé le 4 juillet d’ordonner la suspension des activités du syndicat, accusé d’avoir publié des informations “visant à discréditer les forces armées”. Le syndicat s’est prononcé contre la guerre en Ukraine, a dénoncé la censure des médias, défendu des journalistes russes poursuivis en justice et exprimé sa solidarité avec les journalistes ukrainiens. Sources : FIJ, FEJ, RSF, Uni Europa.
Lire aussi : Russia: Endless media freedom crackdown (communiqué FIJ-FEJ)