Lettre ouverte aux parlementaires sur la protection des sources des journalistes, envoyée le 15 janvier par les confédérations CFDT et CGT et les syndicats CFDT-Journalistes et SNJ-CGT.
Mme Yaël Braun-Pivet, Présidente de l’Assemblée nationale
M. Gérard Larcher, Président du Sénat
Mesdames et Messieurs les Présidents de groupe
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Ce vendredi 17 janvier, une journaliste d’investigation pourrait être mise en examen. Elle est convoquée au tribunal de Paris, pour un interrogatoire mené par une magistrate spécialisée dans la lutte antiterroriste, en vue d’une possible mise en examen pour « appropriation et divulgation d’un secret de la défense nationale ». Il est reproché à Ariane Lavrilleux, journaliste pour Disclose, d’avoir utilisé des documents secret défense dans une enquête lui ayant permis de révéler au public (en novembre 2021) le détournement de la mission militaire française Sirli, en Egypte, à des fins de vente d’armes. Pour son enquête, elle a échangé avec une source interne à l’armée. Cette personne, qui a pris beaucoup de risques pour ses révélations, est ce que l’on appelle un lanceur d’alerte.
Les documents de travail d’Ariane Lavrilleux ayant été saisis, il y a atteinte au secret des sources. Vous le savez, sans sources, sans lanceurs d’alerte ayant la garantie de voir leur anonymat respecté, il n’y a plus d’investigation possible en France. Sans investigation, y compris sur les agissements de l’État, il n’y a plus de démocratie. Veut-on vivre sous un régime qui se rapproche de certains États autoritaires, lesquels accusent de terrorisme tout journaliste enquêtant sur ses administrations ?
Cette affaire a fait l’objet d’un signalement des Fédérations internationale et européenne des Journalistes (FIJ-FEJ) à la Plateforme du Conseil de l’Europe pour la Protection du Journalisme : https://fom.coe.int/fr/alerte/detail/107639871
Si nous nous adressons à vous, Mesdames et Messieurs les parlementaires, en tant que responsables syndicales, c’est que ce sujet est grave, à la fois pour le travail des journalistes, et pour la capacité de tous les travailleurs et citoyens à contribuer à l’émergence de la vérité. Ce n’est pas un sujet corporatiste. Nous devons beaucoup à ces femmes et ces hommes qui osent briser le silence, et à ces journalistes qui consacrent du temps à creuser des sujets complexes. Nombre de scandales (y compris dans le privé, comme dernièrement avec les Ehpad ou les crèches) peuvent aujourd’hui aboutir à des évolutions constructives dans l’intérêt du plus grand nombre et de notre démocratie.
Nos concitoyens sont dans une attente forte de transparence dans la politique comme dans les affaires. Il revient aux élus du peuple de la favoriser en protégeant les journalistes et leurs sources.
La loi du 4 janvier 2010 (articles 1 et 2) relative à la protection du secret des sources des journalistes, dite loi Dati, est insuffisamment protectrice. Nous vous demandons d’unir vos voix aux nôtres pour faire évoluer ce cadre légal et rappeler autant que nécessaire combien le droit à l’information est non négociable.
Dans l’attente de votre intercession, veuillez agréer, Madame la Présidente de l’Assemblée nationale, Monsieur le Président du Sénat, Mesdames ou Messieurs les parlementaires, l’expression de nos sentiments les meilleurs.
Marylise Léon, Secrétaire Générale de la CFDT
Sophie Binet, Secrétaire Générale de la CGT,
Elise Descamps, Secrétaire Générale de la CFDT-journalistes
Pablo Aiquel, Secrétaire Général du SNJ-CGT
Relisez le récit de la rencontre de novembre 2023 entre Marylise Léon et les journalistes CFDT, avec notamment Ariane Lavrilleux.
