« Lux Leaks, Mediator, Dépakine, chambres d’agriculture, contaminations et fraudes alimentaires, pollutions environnementale… Derrière ces affaires, il y a des hommes et des femmes qui décident de prendre la parole pour dénoncer des dysfonctionnements et éviter des crises sanitaires, écologiques ou économiques.» Comme l’a rappelé Laurent Mauduit, reporter d’investigation et écrivain, un des piliers de la MLA, et modérateur de la conférence, « ces lanceurs d’alerte nous protègent, donc protégeons-les ! ».
7 mois pour gagner la bataille
Pourtant, les lanceurs d’alertes sont encore trop rarement entendus. Lorsqu’ils sont salariés, ils sont licenciés, harcelés, mis au placard. Ils peinent à identifier à qui s’adresser pour que les abus qu’ils dénoncent cessent. Leurs soutiens – journalistes, associations, syndicats – mais aussi leurs proches en paient les frais.
Pour Anna Myers, qui dirige la fédération de lanceurs d’alerte WhistleBlowing International Network (WIN), « la directive européenne de 2019 est un jalon dans la protection des lanceurs d’alerte mais nous savons que la transposition en droit national dans les 27 pays est essentielle. Et le diable sera dans les détails ! Nous avons 7 mois, jusqu’au 17 décembre 2021 pour gagner la bataille. Celle-ci passe par la faculté de la société civile de presser le gouvernement ».
Une proposition de loi en préparation pour octobre
En 2016, la loi Sapin II a tenté de régler ce problème. Elle a interdit de licencier ou de rétrograder les lanceurs d’alerte. Mais obtenir ce statut relève encore du parcours du combattant et cette loi comporte de nombreuses lacunes. Elle n’offre, par exemple, aucune garantie que les alertes soient traitées. C’est là que la transcription de la directive prend toute son importance. « La directive européenne de 2019 met fin à l’obligation, pour un salarié, d’alerter d’abord au sein de son entreprise – obligation qui l’expose bien souvent aux représailles ou qui fait courir le risque de destruction de preuves », rappelle Jean-Philippe Foegle, chargé du plaidoyer à la MLA. Mais il se souvient que l’actuel ministre de la Justice estimait, lorsqu’il était encore avocat, que les lanceurs d’alerte étaient « des balances ».
Pourtant, il reste optimiste. « Nous nous appuyons depuis deux ans sur le député Sylvain Waserman, député LREM/Modem du Bas-Rhin, qui présentera une proposition de loi en octobre 2021 et en 2e lecture en février 2022. Ce projet de loi sera ambitieux. Et puis, il faut profiter du fait que la France va prendre la présidence tournante du Conseil de l’Europe pour six mois à partir de début 2022 et sera sous pression », estime Jean-Philippe Foegle.
La priorité, un fonds de soutien
Les douze propositions que la MLA formule dans sa campagne rejoignent les objectifs élevés de la proposition de loi Waserman. Elles abordent la question d’un fonds de soutien pour accorder des aides d’urgence aux lanceurs d’alerte en difficulté ; la simplification des procédures avec la mise en place d’un guichet unique auquel adresser une alerte et qui s’assure qu’elle soit suivie d’effets ; ou encore le renforcement des sanctions contre les “étouffeurs d’alerte” ou le rôle d’appui des syndicats sur les lieux de travail. « Empêcher les procédures baillons est une nécessité absolue ainsi qu’apporter une aide financière et psychologique aux lanceurs d’alerte », résume Laurent Mauduit.
Pour Antoine Deltour, qui a révélé les LuxLeaks, un système d’avantages fiscaux pour les grandes entreprises mondiales initié par le Luxembourg, « le fonds de soutien est une priorité. Moi, ma défense m’a couté 95 000€. Sans la solidarité, c’était impossible ».
« On devient radioactif »
Marine Martin, elle, a dénoncé les effets dramatiques d’un antiépileptique, la Dépakine, sur les grossesses. « J’ai dû laisser tomber mon boulot. Et puis, personne ne m’a donné les clés pour me défendre ou pour travailler avec les médias alors que je subissais le harcèlement de Sanofi. J’étais et je suis toujours la tête de la pieuvre qu’il fallait couper ».
Hervé Casse, ancien directeur général de la chambre d’agriculture de la Vienne a suivi les règles pour lancer l’alerte après avoir constaté les dérives de son institution publique : voie hiérarchique puis article 40 (dénonciation au procureur). « Trois semaines plus tard, j’ai perdu mon travail. Quand on est directeur général, on devient radioactif. Et toute la famille subit les répercussions de l’histoire. Je crois qu’il faut qu’il y ait une autorité auprès de qui lancer l’alerte et des emplois réservés aux lanceurs d’alerte ».