Droits voisins : les journalistes ne doivent pas être les dindons de la farce

Deux ans après transposition dans la loi de la directive européenne instaurant un droit voisin pour la rémunération des entreprises de presse par les plates-formes internet pour la reprise de leurs contenus, les géants du numérique traînent encore des pieds. C’est ce qu’il ressort d’un colloque organisé lundi 14 février 2022 à l’Assemblée nationale, à l’occasion duquel on a beaucoup entendu les éditeurs déplorer que les négociations avec le principal géant du numérique, Google, traînent en longueur. Or, a-t-il été constaté, si le maintien des entreprises de presse est un enjeu démocratique, « l’information coûte cher à produire ». Ainsi, pour Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale, « l’intention du législateur n’a pas été respectée (…) et rares sont les organes de presse qui ont obtenu une rémunération. »

Des accords en voie de finalisation

Pourtant, à en croire Arnaud Monnier, le directeur des partenariats de Google France, qui se dédouane de toute volonté de blocage, les choses avancent avec un premier accord signé avec l’AFP ; la finalisation d’un autre accord serait proche avec l’APIG (Alliance de la presse d’information générale, PQN, PQR, PQD et PRH) ; et le travail serait « en progression » avec la presse magazine…

1 200 titres de presse et agences pourraient bénéficier du Droit voisin.

Flash back. C’est la loi 2019-775 du 24 juillet 2019 qui créée, par transposition d’une directive européenne (UE 2019/790), ce droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse. La directive donnait six mois aux Etats membres pour mettre en place le droit voisin, mais début 2022, seuls une douzaine de pays l’ont fait. Dont la France.

Ce droit voisin doit venir compenser la baisse de la diffusion des journaux « papier » et la captation des marchés publicitaires par les géants du numérique, alors que la propension des lecteurs portés par le web à payer l’information baisse aussi.

Pour la FNPS (presse spécialisée), ce nouveau droit n’est donc ni une subvention, ni une taxe, ni un impôt, mais une « juste rémunération des contenus utilisés par les plate-forme ».

Si certains éditeurs préfèrent mener des négociations en solo avec Google et Facebook – ce serait le cas de l’AFP, du Monde, de Libération, du Figaro ou encore de L’Obs –, d’autres, notamment via l’APIG, ont rejoint l’organisme de gestion collective (OGC) présidé par Jean-Marie Cavada.

Ce même JM Cavada ne mâche pas ses mots lorsqu’il évoque « la terrible inefficacité de la loi », « l’affront démocratique » et même « la hargne » des plates-formes devant la loi.

A l’origine de la plainte qui a abouti en juillet 2021 à la condamnation de Google à une amende de 500 millions d’euros, le SEPM (presse magazine) a déposé une nouvelle saisine auprès de l’Autorité de la concurrence du pays au mois de janvier.

De son côté, Anton-Maria Battesti, le responsable des affaires publiques de Meta France (Facebook), a affirmé « respecter la loi » et dit conduire plusieurs initiatives, comme l’arrivée prochaine de la plate-forme Facebook News Média Services (une filiale de l’Agence France-Presse) pour aider la presse.

Quelle rétribution pour les journalistes ?

C’est dans ce contexte que devraient débuter – le plus rapidement possible on espère – les négociations pour la rétribution des journalistes, pour lesquels la loi a prévu le « droit à une part appropriée et équitable de la rémunération ».

La loi prévoit aussi que « cette part ainsi que les modalités de sa répartition entre les auteurs concernés sont fixées dans des conditions déterminées par un accord d’entreprise ou, à défaut, par tout autre accord collectif au sens de l’article L. 2222-1 du code du travail. »

Il ressort des premières prises de contacts que les éditeurs vont préférer des négociations au sein des entreprises plutôt qu’au sein des branches.

La position de la Fédération est cependant :

  • de dire que les représentants des journalistes sont légitimes à représenter les intérêts des salariés ;
  • de dire que la répartition des fonds doit se définir entre les partenaires sociaux au niveau d’accords de branche.

Unanimement, les syndicats SNJ, SNJ-CGT, CFDT-Journalistes et SGJ-FO souhaitent aussi que la gestion de la part des droits voisins leur revenant soit confiée à la SCAM, Société civile des auteurs multimédia, afin d’aboutir à une répartition juste. Mais, peut-on déplorer, alors que la loi offre aux employeurs la possibilité de se regrouper au sein d’un organisme de gestion collective (OGC), rien de tel n’est prévu pour les journalistes !

Droit voisin : les syndicats de journalistes demandent une rémunération encadrée par la gestion collective

Les écueils à la négociation

Autant dire que les négociations promettent d’être assez ardues dans les entreprises (où les branches) où quelques écueils s’annoncent :

  • L’opacité des accords avec les plates-formes, et en premier lieu Google. Car même si l’alinéa 4 de l’article 4 de la loi dispose que « Les journalistes reçoivent au moins une fois par an, le cas échéant par un procédé de communication électronique, des informations actualisées, pertinentes et complètes sur les modalités de calcul de la part appropriée et équitable de rémunération qui leur est due », c’est le secret des affaires qui est aujourd’hui opposé à ces demandes.
  • Comment quantifier la « part appropriée et équitable » évoquée par la loi ? A 10%, 30%, 50% ?…

Le débat est ouvert…

On notera tout de même qu’en conclusion de ce colloque, essentiellement consacré aux difficultés rencontrées par les éditeurs lors de leurs négociations, la ministre de la Culture et de la Communication, Roselyne Bachelot, a rappelé – et même « souligné au stabilo » – que si les plates-formes ont besoin des contenus des journaux pour exister, ces contenus ne sont pas non plus possibles sans la contribution des journalistes, et qu’il convient de partager avec eux les revenus du droit voisin…

Les actualités

  • 76 jours de captivité pour Olivier Dubois. Nous n’oublions pas notre confrère

    Notre confrère pigiste Olivier Dubois a été enlevé au Mali le 8 avril 2021. CFDT-Journalistes reste mobilisée aux côtés de la profession et de son comité de soutien. Nous vous invitons à relayer la mobilisation en utilisant les mots-dièse #FreeOlivierDubois #OlivierDubois #Journalisme #Sahel et en suivant les actions du comité de soutien sur les réseaux Facebook et Twitter.…

  • Victoire CFDT pour les précaires : le Conseil d’Etat retoque la réforme de l’Assurance chômage :

    La CFDT et les organisations syndicales qui ont déposé un recours devant le Conseil d’État pour suspendre les nouvelles mesures de détermination de l’allocation d’assurance chômage ont obtenu gain de cause. C’est une grande satisfaction. La plus haute juridiction administrative a ainsi reconnu que dans le contexte actuel la réforme de l’assurance chômage ne peut…

  • Europe 1 en grève : et si on écoutait les journalistes plutôt qu’espionner leurs AG ?

    Un journaliste menacé de licenciement, une DRH qui capte clandestinement une AG, et une grève bien légitime. Pour la CFDT-Journalistes, Europe1 version Bolloré, c’est non.  Communiqué de la SDR d’Europe1 et de l’intersyndicale publié dans leMonde « A Europe 1, nous refusons de devenir un média d’opinion » En liant son sort à CNews qui…

  • Lanceurs d’alerte : « Trois semaines plus tard, je perdais mon travail »

    La Maison des lanceurs d’alerte, que la CFDT-Journalistes vient de rejoindre en ce printemps 2021, organisait le 2 juin une conférence en ligne de lancement de la campagne qui vise à obtenir de la France la transposition en droit français de la législation européenne de 2019 sur les lanceurs d’alerte. Nous y étions, et la…

  • Pour une loi protégeant davantage les lanceurs d’alerte : journalistes, signons l’appel !

    Ce 2 juin est lancée la campagne « Défendons les lanceurs d’alerte ». La CFDT-Journalistes, entrée récemment à la Maison des lanceurs d’alerte, y participe avec conviction. La France a adopté en 2016, avec la loi dite Sapin II, une législation pionnière qui a représenté un réel progrès pour la protection des lanceurs d’alerte. Mais obtenir ce statut…

Enable Notifications OK No thanks