Le Parlement a adopté mercredi 16 février une proposition de loi visant à mieux protéger les lanceurs d’alertes. Le texte a fait l’objet d’un ultime vote favorable, bouclant trois mois de parcours législatif et une mobilisation des ONG et des syndicats, dont la CFDT-Journalistes, depuis deux ans. La France est le 8ème pays (sur 26…) à transposer la directive européenne pour la protection des lanceurs d’alerte dont le délai de transposition arrivait à terme le 17 décembre 2021 (il y a donc deux mois).
A plusieurs reprises, nous nous sommes dit que les lobbys allaient avoir raison de plus de deux ans de travail assidu pour que la France transpose dans son droit la directive de 2019 sur les lanceurs d’alerte. A la Maison des lanceurs d’alerte (MLA) dont la CFDT-Journalistes est membre du CA et du Comité d’orientation stratégique (COS), accompagner les lanceurs d’alerte, c’est le quotidien depuis 2018 et sa création par dix-sept associations (https://mlalerte.org). Depuis trois ans, la MLA a reçu 300 demandes de soutien en matière de corruption, d’environnement, de santé et accompagné 150 alertes grâce à ses équipes de juristes.
Du Mediator qui a secoué le monde pharmaceutique aux Luxleaks dans celui de la finance, nombre d’affaires ont été mises sur la place publique par ces lanceurs d’alerte, qui décrivent souvent leur engagement comme un long calvaire au résultat incertain… Jusqu’au dernier moment pourtant, des géants de l’agroalimentaire, par exemple, ont tenté de forcer la main au Parlement, par l’entremise de certains sénateurs, pour réduire la capacité de dénoncer ces scandales à l’avenir. Et c’est une bonne nouvelle pour la démocratie, ils ont échoué : la proposition de loi du député Sylvain Waserman (MoDem) conforte le rôle de contre-pouvoir de ces personnes qui paient souvent cher leur combat – intimidations, licenciement, procédures judiciaires.
1 / Mieux protégés…
Le premier constat à l’issue de ce combat pour la transparence, les droits des lanceurs d’alerte seront renforcés et ces hommes et femmes mieux soutenus.
La nouvelle loi définit plus précisément leur statut, oriente leurs démarches, renforce leurs droits et ceux des personnes ou associations qui les assistent, facilite leur soutien financier et psychologique, entre autres.
Elle transpose en droit français une directive européenne de 2019, en allant au-delà de ce qu’exige le droit européen, et corrige des imperfections de la loi pionnière, dite « Sapin II », de 2016, peu utilisée à ce jour.
« Cette loi traite chacune des étapes de la vie des lanceurs d’alerte. Leur protection devient un pilier de nos démocraties, à côté de la liberté de la presse », fait valoir M. Waserman.
« On a pu obtenir des avancées significatives pour améliorer leur situation, leur protection et le fait qu’ils puissent lancer l’alerte avec un peu plus d’assurance », a déclaré mercredi à la presse Glen Millot, de l’association La Maison des Lanceurs d’Alerte, très active en faveur de cette loi.
2 / … mais il reste des exceptions
Le lanceur d’alerte est défini comme « une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général », ou une violation d’un engagement international de la France.
La nouvelle législation prévoit certaines exceptions, comme les faits et informations couverts par le secret de la défense nationale, celui des délibérations judiciaires ou le secret médical.
Le texte précise et diversifie les canaux internes à l’entreprise, ou externes, à la disposition des lanceurs d’alerte pour valider leur démarche. La loi Sapin II était en effet jugée imparfaite car privilégiant le signalement interne auprès de l’employeur, une modalité qui peut être dissuasive ou contreproductive.
3 / Le canal externe et des facilitateurs
Le lanceur d’alerte pourra donc désormais s’il le souhaite passer directement par un canal externe – Défenseur des droits, justice, autorité administrative ou personne morale habilitée…
Le Défenseur des droits aura un adjoint spécialement chargé d’assister les lanceurs d’alertes. La justice disposera également d’outils supplémentaires pour faciliter la défense de leurs droits.
Les « facilitateurs », qui accompagnent le lanceur d’alerte, seront eux aussi mieux reconnus et protégés.
Le texte prévoit également des sanctions contre ceux qui chercheraient à étouffer leur action en multipliant des procédures hostiles (procédures « bâillons »), ou leur faire subir des représailles.
Aux côtés des autres membres de la MLA, la CFDT-Journalistes va poursuivre son engagement pour plus de transparence dans notre vie publique, en matière de santé et d’environnement. Des améliorations sont d’ailleurs possibles en matière de protection des lanceurs d’alerte, concernant notamment le secret des sources. Un droit semblable à celui dont dispose les journalistes depuis la loi de 1881 sur la presse, a été dénié aux lanceurs d’alerte, qui souvent voient leur vie basculer une fois leur identité révélée.