Nos bons conseils aux chefs et cheffes de pigistes

Il y a des petites phrases se voulant « sympas », d’autres carrément assassines, et entre les deux, un panel de commentaires dilettants, maladroits, flous, qui disent beaucoup de la relation insatisfaisante entre les journalistes pigistes et leurs responsables, et de la méconnaissance du cadre légal de cette pratique professionnelle. 

Impensé du management, le suivi des pigistes devrait pourtant être considéré de façon beaucoup plus professionnelle, dans l’intérêt des deux parties. Nous publiions nos conseils en mai dernier dans notre magazine Profession journaliste

Et la start-up Médianes, d’accompagnement des créateurs de médias, nous a tout de suite dit oui quand nous leur avons proposé un partenariat, qui a abouti ce mois de juin, avec la mise en ligne de nos bons conseils, à retrouver sur le site de Médianes, à la rubrique Management. 

Merci à eux ! Et tous nos encouragements à tous ceux qui s’en inspireront pour faire mieux ! 

Travailler avec des journalistes pigistes : les bonnes pratiques


Les problèmes auxquels sont confronté·es les journalistes pigistes sont nombreux. En cause notamment, une méconnaissance de leur fonctionnement et de leurs enjeux. Alors, comment soigner la collaboration avec les pigistes ? Les conseils de la CFDT-Journalistes.

Si nombre de journalistes pigistes se disent freelance ou indépendant·es, leur statut ne l’est pas. La pige est bien un mode de rémunération salarié, donnant lieu à des cotisations sociales et s’effectuant dans le cadre d’un contrat de travail. Les conditions de travail doivent en ce sens respecter le droit du travail. Pour un·e pigiste, un·e bon·ne rédacteur·rice en chef, est quelqu’un qui connaît ses devoirs vis-à-vis d’elle·lui et avec qui la relation est fluide. Mais de la théorie à la pratique, il y a souvent un écart. À quels enjeux sont confronté·es les journalistes pigistes ? À quelles petites phrases sont-ils·elles habitué·es ? Quelques conseils aux employeurs pour soigner la collaboration.


C’est la loi, un·e pigiste est un·e salarié·e
C’est le droit du travail qui le dit (loi Cressard, L. 7112-1 du code du Travail) : tout travail de journaliste s’effectue dans le cadre d’un contrat de travail, qu’il y ait signature de contrat ou pas. Le·la journaliste rémunéré·e à la pige ou « pigiste » est un·e salarié·e à part entière. Sa rémunération est variable, mais il·elle perçoit toujours un salaire (et donc une fiche de paie), calculé sur la base d’un tarif brut annoncé (au forfait, au feuillet, à la photo…) qui s’entend nécessairement « hors tout » : c’est-à-dire auquel s’ajoutent les congés payés, ainsi que le 13e mois et l’ancienneté le cas échéant.
Renseignez-vous aussi sur les minimas conventionnels en vigueur, sachant que les médias en ligne n’en ont pas encore, mais ils sont, en 2024, en cours de négociation entre les représentant·es des syndicats de journalistes et le Spiil (Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne ). À défaut, se référer aux barèmes minima des formes de presse voisines.


Un·e pigiste ne peut pas être rémunéré·e en droits d’auteur ou sur facture
Bien que bon nombre de pigistes se disent « freelance », ces dernier·es ne sont pas des indépendants au sens d’auto-entrepreneur·ses. Le régime social des artistes-auteur·rices n’est pas non plus autorisé pour les travaux journalistiques (hors droits de repasse, Hadopi).
Après une certaine régularité, on peut même parler de « CDI présumé », même sans contrat signé. En l’absence de contrat, il est donc illégal d’établir des attestations de fin de contrat. De la même manière, s’il veut mettre fin à une collaboration régulière, l’employeur doit licencier le·la journaliste pigiste.

« Pour les tarifs je sais pas trop »
Il est important de pouvoir apporter une information claire au/à la journaliste pigiste à qui vous confiez un sujet. Les tarifs doivent être annoncés avant le début du travail, et ne pas comprendre les congés payés, 13e mois et ancienneté le cas échéant, qui s’ajouteront au brut. Vérifiez aussi que vos tarifs respectent bien les minimas conventionnels en vigueur !
Et côté délais de paiement, le Code de la Sécurité sociale est clair : tout salarié doit être payé le mois de travail, donc dès que vous avez reçu la « copie », passez la en paiement, même si la publication prendra plus de temps.

« Faut pas hésiter à me relancer ! »
Traiter les sollicitations : Les pigistes ont souvent bien du mal à obtenir des réponses à leurs propositions de sujets, aux demandes de précision par mail, etc. En cause notamment, un manque de temps et d’organisation dans les structures de presse sollicitées. Pourtant, pas de réponse = pas de travail. Et harceler ses chef·fe·s, c’est usant à la longue, surtout quand, entre-temps, les sujets se périment. L’idéal est de trouver un moyen de traiter les propositions entrantes ; si vous savez que vous n’aurez pas le temps de considérer la demande, n’hésitez pas à faire un retour par mail, indiquant que la demande ne peut être traitée pour le moment. Par ailleurs, dire « nous ne sommes pas intéressé·es », c’est mieux que laisser dans l’expectative !
Définir des procédures : De la même manière, lorsqu’un·e pigiste vous envoie son article, il convient de le valider dans un court délai Il est également conseillé de ne pas attendre le dernier moment pour lui faire vos retours : ça le·la met dans une situation d’urgence inconfortable, et de votre côté, cela peut avoir un impact négatif sur le calendrier de publication. Gardez à l’esprit qu’un·e pigiste a plusieurs employeurs et ne sera pas forcément disponible au moment où vous le serez — ni au dernier moment, cela va sans dire. Il faut proscrire les demandes abusives pour construire une relation de respect, et faciliter le travail de chacun·e. Pensez également à prévenir vos pigistes régulier·es de vos dates de congés, et demandez-leur les leurs, pour que vous puissiez vous organiser.

« C’est trop tard, la conf’ de rédac est déjà passée »
Expliquez le fonctionnement de la rédaction à vos pigistes régulier·es (dates de programmation, de bouclage, jour de la conférence de rédaction, organigramme…). Les pigistes seront plus à même de vous rendre service en se calant sur votre organisation. Dites- lui aussi quand vous êtes le plus facilement joignable dans la semaine.

« J’ai rien à te commander en ce moment mais t’inquiète, je ne t’oublie pas »
Dans la vie d’une rédaction, il y a des périodes plus creuses ou plus soutenues que d’autres. Si c’est une réalité, le tout est de veiller tout de même à permettre au pigiste de s’organiser. Chaque mois de pause correspond à un mois sans revenus, et un·e pigiste a besoin de travailler toute l’année. Le droit du travail s’applique au pigiste comme à ses collègues en poste dans la rédaction. Dans le cadre d’une collaboration régulière, il n’est pas légal de baisser ou supprimer ses piges sans compensation. Mettre définitivement fin à une collaboration doit donner lieu à un licenciement (avec vrai motif, entretien, préavis, indemnités). En cas de difficultés économiques ou de crise sanitaire, les pigistes ont tout autant le droit que les autres au chômage partiel.

« Super idée, on a quelqu’un qui connaît bien le sujet ! »
Ça paraît évident, mais ça va mieux en le disant : ne confiez pas à un·e autre collaborateur·rice l’idée donnée par un·e pigiste, sous prétexte qu’il·elle aurait déjà des contacts ou une expertise. Avertissez également le·la pigiste quand un membre de la rédaction traite un sujet de son périmètre géographique ou d’expertise. Et pourquoi pas, parfois, confier à l’un·e et l’autre un sujet à quatre mains ? Une belle façon de mieux se connaître et de partager ses compétences!

« C’est pas ce qu’on s’était dit »
Lorsque vous passez commande d’un papier, rappelez par écrit le travail à effectuer (dans un mail ou via un « bon de commande ») et son cadre : l’angle, la date de rendu (date de V1, date de publication finale) et le tarif (brut, hors congés payés, 13e mois et ancienneté). Cela permet d’éviter les malentendus, d’un côté comme de l’autre ! Il vaut mieux prendre cinq minutes pour cadrer par écrit plutôt que laisser le·la journaliste travailler dans le flou ; cela évite également de devoir repasser longuement sur un papier qui n’est pas ce que l’on attendait. Il est à cet égard essentiel de produire des retours construits, pour aiguiller le·la journaliste, lui permettre de comprendre ce qui ne convient pas.

« C’est pas loin, 125 km ! »
Vous passez commande d’un reportage qui implique des frais ? Transports, nuits d’hôtel, repas ? Prévoyez un remboursement de frais et informez vos pigistes des barèmes et plafonds, ou orientez-les vers la personne qui pourra s’en charger. Pour les pigistes régulier·es, prévoyez aussi des remboursements de frais téléphoniques, ainsi qu’une prise en charge partielle de matériel (appareil photo, caméra…).

« Tu m’fais une photo ? »
Si vous demandez à un·e pigiste de faire des photos, prévoyez une enveloppe pour ce travail supplémentaire. Sachez également que la profession abonde de photographes professionnel·les : les photojournalistes ont besoin de revenus presse (en salaire, donc) pour continuer d’avoir la carte de presse. De belles photos de temps en temps mettront en avant votre publication !

« On a changé d’idée… »
« Tout travail commandé ou accepté par l’éditeur d’un titre de presse est rémunéré, même s’il n’est pas publié » (L7113-2 du code du Travail). En clair : même si vous êtes obligé·e de couper l’article faute de place, si une actualité en a chassé une autre, le·la pigiste doit être rémunéré·e selon le volume établi à la commande. Et si son article ne convient pas, car il n’a pas respecté l’angle ou les indications établies lors de la commande ? Vous pouvez lui demander de le retravailler, —dans la limite du raisonnable, donner un nombre d’heures à consacrer au maximum — mais son paiement lui est dû. Si la commande est annulée en cours d’enquête, il convient de rémunérer le·la pigiste partiellement, en tenant compte du travail fourni. Est-ce qu’on réduirait votre salaire si une partie de votre travail était finalement inutilisée ?

« Tu suis le truc et tu me dis ? »
Quand un·e salarié·e « en poste » consacre du temps à sa veille, il·elle le fait sur son temps de travail, et est payé·e pour cela. La logique doit s’appliquer avec vos pigistes : si vous attendez expressément d’elle ou de lui qu’il·elle fasse de la veille pour alimenter une rubrique, une réflexion ou une documentation, veillez à rémunérer ce travail, même s’il ne débouche pas sur une production.
De la même manière, si vous lui demandez d’aller voir un spectacle, un film ou si vous acceptez sa proposition d’y aller en vue d’une critique, rémunérez-le·la même si le spectacle s’avère décevant et ne donne lieu à aucune production.

« On se cale un rendez-vous ? »
Besoins, envies, qualité de la relation, points à améliorer, formations à suivre… N’hésitez pas à programmer des points sur votre collaboration — c’est ce que nous vous invitons vivement à faire, que vous interagissiez avec un·e salarié·e en poste, un·e alternant·e, un·e stagiaire ou un·e pigiste (rendez-vous régulier ou ponctuel, en fonction des fonctions, du statut et de vos possibilités). Une idée que vous pouvez mettre en place : réunir tous·tes vos pigistes de temps en temps pour des sessions d’échange collectives. Vous pouvez autrement décider de les inviter quand vous organisez une formation interne : cela permet de motiver, de mieux se connaître, de travailler plus efficacement et c’est aussi l’occasion de les informer sur leurs droits et les avantages dans votre entreprise – puisque, rappelons-le, ils·elles sont salarié·es. D’ailleurs, avez-vous pensé à formaliser ces droits et tous les interlocuteur·rices administratifs dans un livret d’accueil ?

« Tu comprends, faut du changement »
Intégrer les pigistes à la transformation interne : Vous connaissez une période de turn- over dans la rédaction ? Des nouveaux·elles chef·fes de service arrivent avec leurs pools de pigistes ? Le renouvellement des équipes et de l’organisation est une réalité dans de nombreuses rédactions. Vous pouvez intégrer vos pigistes à ces changements, notamment en passant par des petites formations. Étant multi-employeurs, ces dernier·es ont autant de capacité à s’adapter que des journalistes en poste — ils·elles peuvent changer régulièrement d’attributions par exemple. Les journalistes sont ainsi susceptibles d’avoir acquis de nombreuses compétences développées ailleurs. Leur relation à l’entreprise de presse leur permet par ailleurs d’avoir une prise de recul bienvenue dans ce genre de moments.
Accompagner le·la pigiste : Si pour une raison valable (budget, disparition d’une rubrique…) vous ne pouvez pas maintenir un niveau de collaboration stable à un pigiste régulier, tournez-vous vers le service des ressources humaines pour qu’une autre collaboration lui soit proposée afin de compenser sa baisse de revenus — c’est un droit qui lui est attribué, puisqu’il·elle est en contrat de travail tacite. En dernier recours, prévoyez un licenciement. Mais mettre « en douce » un pigiste sur la touche, n’est pas une option.
Mettre fin à une collaboration : Dans tous les cas, il est préférable de mettre fin à une collaboration de manière claire, en l’annonçant sans tarder au/à la pigiste (qui pourra chercher rapidement de nouveaux employeurs) et en respectant les procédures (convocation à un entretien préalable, indemnités, préavis), plutôt que de laisser s’éteindre la collaboration dans des conditions désastreuses qui pourraient mettre en péril le bien-être du/de la pigiste, la réputation de la structure et chahuter votre organisation.

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