L’exploitant agricole ayant agressé des journalistes d’Envoyé Spécial devant le tribunal de police

ACTUALISATION : le procès a été reporté au 20/12

 

Un exploitant agricole des Bouches du Rhône ayant agressé des journalistes de France2 lors de leur reportage pour Envoyé Spécial en septembre 2020 comparait ce 18 octobre devant le tribunal de police de Tarascon. La journaliste fixeuse nous livre son témoignage anonyme.

La CFDT-Journalistes apporte son soutien à ses consoeurs et confrère, condamne les violences commises contre les journalistes et déplore le sentiment d’impunité induit par les faibles peines encourues.

 

Septembre 2020. Une équipe de France 2 – une journaliste rédactrice, un JRI, et une fixeuse pigiste – tourne un reportage pour Envoyé Spécial sur les conditions de travail et d’hébergement désastreuses des travailleurs agricoles étrangers dans les Bouches du Rhône. Ils veulent interroger un agriculteur, Didier Cornille, plus gros saladiculteur d’Europe et principal client et fournisseur de logements pour Terra Fecundis, la plus grosse entreprise d’intérim espagnole qui a été lourdement condamnée en première instance en mai dernier à Marseille. Sauf qu’il ne l’entend pas de de cette oreille. Il leur fonce dessus avec son pick up, insulte l’équipe de journalistes et frappe le cameraman.

On peut en voir certaines images dans le reportage diffusé le 7 janvier 2021 entre la 8’57 et la 9’45. Un papier est également sorti au printemps dans Arrêt sur Images.

Les deux journalistes de France2, Laura Aguirre de Carcer et Thomas Guéry, porteront plainte pour coups et blessures. Pas la journaliste fixeuse pigiste.

Après des mois d’allers-venues juridiques, un premier classement sans suite et sans motif, un déclassement de la plainte, il y a finalement une audience publique ce lundi 18 octobre 2021 à 14 heures devant le tribunal de police de Tarascon, dans les Bouches du Rhône. L’exploitant poursuivi risque seulement une faible amende dans cette affaire.

La fixeuse, victime, bien que non plaignante, a accepté de nous livrer son témoignage :

« Je travaille depuis cinq ans sur le sujet en tant que journaliste indépendante pour différents médias. Dans cette région, les ouvriers agricoles étrangers vivent une violence quotidienne. Si je le précise en préambule c’est que je suis consciente que la violence que nous avons vécue ce jour-là et qui se rappelle à nous encore aujourd’hui sous les signes de syndrômes post-traumatiques, n’est qu’un symptôme de la violence systémique et systématique auxquelles font face les travailleuses et travailleurs et qui est le fondement du fonctionnement de ce système agricole. 

Le jour de l’agression je n’ai pas été touchée physiquement mais pourtant j’ai connu des épisodes d’insomnie, de peurs et d’angoisses injustifiées et d’épuisement dans les semaines qui ont suivi. Cinq mois plus tard, j’ai fait un burn out qui a nécessité deux mois d’arrêt de travail.Aujourd’hui, c’est encore difficile. Si je n’ai pas porté plainte, c’est d’abord car, quand la gendarmerie nous a reçus tous les trois, elle a estimé que ce n’était pas la peine, n’ayant pas été physiquement touchée. Et puis j’ai aussi renoncé parce que je suis originaire de la région et que j’y travaille et me sens menacée, et d’autant moins protégée par mon « statut » de journaliste multiemployeurs.

Ce lundi, je serai dans la salle d’audience. J’ai écrit un témoignage que l’avocat de mes collègues produira. 

J’ai eu la chance d’être aidée financièrement, pour être accompagnée par un psychologue, par Media Freedom Rapid Response. Mais j’estime qu’une juste réparation doit aussi passer par une sanction à la hauteur du traumatisme. Avec des peines encourues aussi faibles, quand la personne n’a pas d’incapacité de travail de plus de huit jours, l’impunité demeure pour ce type de personnes ».

 

La CFDT-Journalistes, solidaire des trois journalistes violentés en septembre 2020, condamne ces manoeuvres d’intimidation et ces atteintes à la liberté de la presse. Elle estime par ailleurs que l’arsenal des sanctions n’est pas, dans l’état actuel de la loi, en mesure de faire face à l’agressivité montante vis-à-vis des journalistes, et qui donne rarement lieu à des ITT de plus de 8 jours, d’autant que les journalistes ne prennent souvent pas la mesure immédiatement de leur besoin vital de s’arrêter après de tels événements.

Pourquoi de si faibles peines encourues ?

Article 5-624-1 du code pénal : Hors les cas prévus par les articles 222-13 et 222-14, les violences volontaires n’ayant entraîné aucune incapacité totale de travail sont punies de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe. Soit au plus 750 euros. Dans l’état actuel de la loi une ITT (Incapacité Temporaire Totale, à ne pas confondre avec l’arrêt de travail) est impérative pour amener des peines encourues plus lourdes. Lire le tableau des peines encourues.

 

Lire aussi : 

Au CNMJ, les nouveaux risques du métier en débats

Emoi après l’agression de Christian Lantenois

Stop aux agressions de journalistes lors des manifestations

Et très récemment, cette attaque contre le véhicule de deux pigistes d’M6 :

Les actualités

  • Pour la liberté d’informer sur l’agro-alimentaire en Bretagne

    La CFDT-Journalistes signe la lettre des professionnels de la presse adressée à la région Bretagne, afin que cessent les pressions sur les journalistes enquêtant sur les sujets agro-alimentaires. Elle invite tous les journalistes à en faire autant en cliquant sur ce lien, ainsi que tous les citoyens souhaitant que soit mené un travail d’investigation dans…

  • A circonstances exceptionnelles, mesure exceptionnelle : la carte de presse 2019 renouvelée en 2020

    « Compte tenu de ces circonstances exceptionnelles, la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels) a décidé de renouveler la carte 2020 aux 35 000 titulaires de la carte 2019, indique le communiqué publié mardi midi par la CCIJP. Cette reconduction est une mesure générale et exceptionnelle pour cette année. Elle s’adresse tout particulièrement aux 7000 journalistes qui,…

  • Dans son rapport 2020, l’ODI pointe un nouveau défi pour l’information

    De nouvelles menaces sur la qualité de l’information L’Observatoire de la Déontologie de l’Information (ODI) vient de publier son rapport 2020, « Faire face au trouble dans l’information ». Ce document, qui aurait dû être présenté lors des Assises internationales du Journalisme (reportées à l’automne), souligne la persistance en 2019 de graves dérives, accentuées par le ‘trouble’ provoqué dans…

  • Coronavirus : comment l’action syndicale a permis d’obtenir un décret favorable aux pigistes

    Alors qu’un grand nombre de journalistes pigistes ont vu leurs collaborations fortement freinées voire stoppées depuis le début de la crise sanitaire, la CFDT-Journalistes se félicite des avancées apportées par le « décret pigistes », déterminant leurs conditions d’accès au chômage partiel, paru au Journal officiel ce vendredi 17 avril. Certaines entreprises de presse avaient déjà accordé l’activité…

  • Décret pigistes : une étape est franchie, passons à la suivante

    Communiqué intersyndical. Le décret sur le chômage partiel des journalistes pigistes vient d’être publié. Il énonce clairement les conditions d’accès aux mesures gouvernementales dans chaque entreprise : avoir trois bulletins de salaire au moins sur les douze mois précédant les mesures de chômage partiel, dont deux sur les quatre derniers mois ou avoir collaboré au dernier trimestriel.…

Enable Notifications OK No thanks