Pologne, Hongrie… : en Europe, construire des médias indépendants pour contrer l’ingérence politique

Les 19 et 20 avril, la Fédération européenne des journalistes (FEJ), dont est membre la CFDT-Journalistes, a organisé deux webinaires sur la manière de créer des médias indépendants pour lutter contre l’ingérence politique. Nous avons pu suivre une partie des débats. Des médias indépendants sont ô combien importants dans le contexte d’une polarisation accrue, de la désinformation et des attaques contre les journalistes.

 

En Europe, la concentration des médias est un phénomène réel, mais elle a bon dos : à elle seule, elle ne peut expliquer les coups portés à l’indépendance des médias, et notamment l’offensive inédite contre les médias publics. Dans plusieurs pays, « les voix populistes ont désormais plus d’écho que les faits », s’alarme Renate Schroeder, directrice de la FEJ, qui ajoute : « L’interférence politique a toujours existé, mais notre suivi montre que c’est un phénomène croissant. Nous vivons un «tournant illibéral» en Europe ».

Reprise en main des médias de service public et fabrique de l’opinion

Selon l’étude menée par le chercheur spécialiste des médias Marc Gruber, les interférences et les pressions exercées sur les médias de service public sont de loin les menaces les plus inquiétantes, citant notamment les environnements répressifs, tels que la Biélorussie ou la Turquie. Mais pas seulement : l’exemple récent de l’éviction du Défenseur des droits polonais, et de son traitement à charge par la télé publique polonaise, est à ce titre aussi édifiant qu’inquiétant, comme le signalent nos confrères journalistes polonais.

Marc Gruber pointe néanmoins des initiatives positives des organisations de journalistes, par exemple la campagne « Hands off our BBC » du NUJ ou la création des nouveaux médias, comme Journo en Turquie.

Son homologue Vaclav Stetka présente justement un sombre tableau de la fabrique de l’opinion dans quatre pays : la République tchèque, la Serbie, la Pologne et la Hongrie. Son projet baptisé « Le virage illibéral : consommation d’informations, polarisation politique et démocratie en Europe centrale et orientale » montre une forte corrélation entre la consommation de médias d’information soumis à l’influence politique et les attitudes illibérales de leur public, sur des sujets tels que la démocratie, l’immigration ou le mariage gay…
L’universitaire pointe également que ces publics sont plus enclins à croire aux théories du complot. Dans ce contexte, explique-t-il, les personnes plus libérales ont tendance à se tourner vers les médias numériques et sociaux qu’ils considérent comme un contrepoids aux informations contrôlées par le gouvernement, au risque de tomber sur des informations manipulées.

« Alors que les plates-formes numériques restent une source importante de désinformation dans la région de l’Europe centrale et orientale, dans de nombreux pays, les plus grands risques pour la démocratie proviennent du gouvernement et des médias contrôlés par l’État», a conclu Stetka.

La sur-réglementation dans le cadre de la lutte contre les fausses informations pourrait même faire le jeu de gouvernements illibéraux. Par conséquent, a-t-il conclu, l’alliance des médias publics politiquement indépendants reste indispensable pour promouvoir les valeurs démocratiques et les normes de journalisme de qualité.

Chacun pense que « les autres » lisent de « fausses nouvelles »

Un constat partagé par l’eurodéputée hongroise Anna Donath. En Hongrie, explique-t-elle, la société est extrêmement polarisée, la concentration des médias est à la hausse tandis que l’éducation aux médias est faible. Il existe encore des médias indépendants, mais selon Anna Donath, la seule sphère publique gratuite se trouve sur les réseaux sociaux. « C’est pourquoi la loi européenne sur les services numériques est si importante et le contenu en ligne doit être surveillé et contrôlé. Maintenant, souligne-t-elle, tout le monde pense que les autres lisent de « fausses nouvelles.»

Sa collègue Yana Toom, ancienne journaliste et désormais eurodéputée estonienne, veut soutenir davantage les médias minoritaires. Elle pointe le danger des citoyens vivant dans des espaces d’information différents. « Ce n’est pas seulement une question d’inclusion sociale, mais c’est aussi un risque pour la sécurité », s’alarmant du cas de son pays où l’importante minorité russophone ne s’informe qu’auprès des médias russes officiels.

Une position relayée par l’eurodéputée roumaine Ramona Strugariu qui appelle à la mise en œuvre de programmes spécifiques pour aider les journalistes fragilisés par la concentration des médias.

Retrouvez le compte-rendu complet de la FEJ

Programme complet du webinaire passé

Monday, 19 April 2021

11:00 – 11:40: “Why does media independence matter to us?”

Anna Donath, MEP, Hungary / Ramona Strugariu MEP, Romania / Yana Toom, Estonia, MEP, Estonia / Moderator: Renate Schroeder, EFJ Director

11:40 – 12:55: “The status of media independence in Europe: An illiberal turn?”

Dr Vaclav Stetka, Loughborough University, UK / Marc Gruber, researcher and media consultant / Moderator: Maja Sever, President, Croatian Trade Union of Journalists

 

Tuesday, 20 April 2021

13:05 – 14:00: Case studies
“Building independent media to counter political interference in in challenging regimes”: Belarus, Turkey and Ukraine

Introduction and Moderation: Andrei Richter, Senior Adviser at OSCE / Alina Stepanovic Journalists’ Association of Belarus (BAJ) / Mustafa Kuleli, Journalists’ Union of Turkey (TGS) / Sergiy Tomilenko, National Union of Journalists of Ukraine (NUJU)

14:00 – 15:55: In EU and applicant countries: Austria, Macedonia and Spain

Gregor Kucera, Austria (GPA) / Marina Tuneva, North Macedonia, Press Council / Joan Barata Spain (PDLI)

16:00 – 16:30: “EU policies and instruments to ensure media independence”

Elda Brodi, Centre for Media Pluralism and Freedom / Marie Frenay, media pluralism and media freedom within EC cabinet of Vice-President Věra Jourová / Mogens Blicher Bjerregård, President, EFJ

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