Antoine, Martine, Benoit, Anne-Sophie sont journalistes, adhérents CFDT, et fidèles des cortèges contre la réforme des retraites. Pourquoi ? Comment passe-t-on du professionnel qui couvre une manif au citoyen qui y prend part ? On les écoute !
« Défendre un modèle social mis en péril par une politique productiviste et sexiste, qui agit contre les intérêts des travailleurs et des travailleuses ». Voici pourquoi Antoine, 32 ans, journaliste culturel, n’a manqué aucune grève et manifestation depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites. Une réforme qu’il perçoit comme une « attaque envers un temps de vie libéré des contraintes et de la pénibilité du travail » et « une provocation particulièrement insoutenable alors que les conditions de vie d’une grande partie de la population empirent et que la plupart des salaires stagnent ». D’autant plus que « rien ne justifie cette réforme, pas même des projections économiques à court terme ».
Pour lui, il est important de participer très concrètement. « Mon engagement citoyen s’exprime par le vote, mais aussi par ma participation aux grèves et aux manifestations, comme l’expression de mon inquiétude démocratique. J’ai pu constater, ces dernières semaines, qu’elle était largement partagée ».
Ce n’est pas abandonner les lecteurs
Se déclarer gréviste représente un manque à gagner sérieux pour lui qui fait partie des journalistes aux salaires modestes. Pourtant ni cette perspective ni celle de sacrifier quelques heures de son travail d’information ne le décourage. Au contraire. « Lutter pour la défense et le respect des acquis sociaux représente selon moi la base de la conscience professionnelle. Seules de bonnes conditions de travail permettent de faire perdurer les fondamentaux du métier, dont le respect du code de déontologie, le traitement honnête de l’information et le souci de l’exactitude. Cesser le travail, ce n’est pas abandonner les lecteurs, auditeurs ou spectateurs, mais les assurer, au contraire, de nos préoccupations vis-à-vis de la valeur de l’information que nous traitons et créons au quotidien, de notre attachement à un métier qui deviendra plus pénible à exercer au fil des ans, avec cette réforme. »
Changer de posture
La mobilisation ne va pas de soi pour tous les journalistes. « Nous avons tellement l’habitude de couvrir les événements, de raconter les choses, que changer de posture pour devenir acteur, participer à un mouvement, n’est pas intuitif. Cela ne vient étrangement pas à l’idée », analyse Martine Pesez, journaliste au Berry Républicain à Bourges. Elle qui était le plus souvent la seule de sa rédaction à s’absenter pour les manifs se réjouit d’avoir retrouvé le 7 mars quatre collègues.
Demeure aussi une certaine idée selon laquelle un journaliste ne pourrait jamais s’arrêter de travailler. « Avec notre habitude de nous surinvestir, nous avons du mal à considérer que c’est possible, mais ça l’est vraiment. J’ai appris à dégager des journées depuis que je suis élue CSE. C’est une question d’organisation. En charge de pages hebdomadaires c’est tout à fait jouable ». Pour pouvoir rejoindre les cortèges, elle anticipe ses prises de rendez-vous, et elle le reconnait, accepte d’accentuer sa charge de travail les autres jours de la semaine. Mais pour faire des manifs et des grèves une pratique plus ample des journalistes, il faudrait que cela devienne un sujet de conversations comme les autres avec les collègues. » C’est normal d’envisager d’y participer et d’en parler, comme tous les salariés. »
Les injustices de la réforme
Elle le reconnait, ce regard qu’elle porte est nouveau, et motivé par le fait de se sentir à sa place à la CFDT, heureuse de partager un mouvement collectif. Passer du journaliste observateur extérieur au salarié participant, comme les autres salariés, était cette fois-ci évident. « A 59 ans je me sens encore capable de travailler quelques années, donc je ne proteste pas tant pour moi. Mais je suis révoltée par les injustices de cette réforme, chez les personnes ayant des tâches pénibles, ayant des petites retraites, ou les femmes ! Je n’accepte pas non plus la brutalité de la réforme, qu’elle n’ait fait l’objet de quasiment aucune concertation, et des mensonges qui ont été dits. Il ne faut pas laisser passer ça ! ».
Les journalistes avec les autres
Anne-Sophie, 55 ans, journaliste à J’aime Lire (Bayard Presse), se sent elle directement victime de la réforme à venir, elle qui a sacrifié une partie de sa carrière pour s’occuper de ses trois enfants, à l’heure ou le partage des efforts entre hommes et femmes est encore très inéquitable. « Je ne regrette pas d’avoir consacré du temps à mes enfants, mais moi aussi j’aimais mon métier et j’avais une carrière à mener, et avec cette réforme je vais être pénalisée ! »
A Bordeaux, elle concilie parfaitement son travail avec sa mobilisation, les manifestations ayant lieu sur le temps de midi. Une pause méridienne qu’elle est heureuse de passer dans la rue, avec les cortèges CFDT, la plupart du temps entourée de personnels soignants, avec qui elle a plaisir à échanger. « Nous journalistes sommes souvent mal vus, mais là, nous sommes avec les autres, sommes dans le même combat« .
Parenthèses d’action collective et chaleureuse
Une expérience de communion que partage Benoit Contour, 61 ans, journaliste agricole, qui vit comme « des parenthèses d’action collective et chaleureuse » ces rendez-vous réguliers. Il y va avec son épouse, infirmière, y retrouve des copains avec qui ils déjeunent puis avec qui ils reprennent le train de banlieue. « On vérifie que le cortège de la CFDT est le plus imposant et le plus bruyant, et on se fait photographier devant la vache de la fédération Agri ! ».
Alors oui, les défilés des 19 et 31 janvier, 7 et 16 février lui ont fait rater deux conférences de presse, mais il a pu en revoir une en replay. « Je suis très autonome dans mon travail, avec 100 % de télétravail depuis quatre ans, et je réussis à produire ma contribution pour le print. Je peux faire les ajustements nécessaires en réduisant la copie postée sur le site internet ». Détail de poids : il sait compter sur un rédacteur en chef compréhensif et des collègues qui soutiennent le mouvement.
Alors, collègues journalistes, comme eux, pour vous, pour tous, passez de l’autre côté, mobilisez-vous contre la réforme des retraites ! Et si vous ne le faites pas, aidez les collègues qui le font 😉 !