La Provence : CMA-CGM, c’était pas une si bonne idée !

Le 22 mars 2024, la direction du quotidien régional La Provence convoquait Aurélien Viers, directeur de la rédaction, pour un entretien préalable à son licenciement, suite à une photo et titre de Une (sur le trafic de drogue, et suite à la venue d’Emmanuel Macron sur ce sujet à Marseille) ayant offusqué des élus de la majorité. Le lendemain, le directeur de la publication, Gabriel D’Harcourt, publiait des excuses aux lecteurs !!! En réaction, la rédaction s’est mise en grève et les élus CSE ont produit une motion de défiance.

Les salariés d’Altice, en passe d’être rachetée par CMA-CGM, ont montré leur solidarité.

Nous avons cosigné une tribune dans le Monde adressée à Rachida Dati, Ministre de la Culture.

Une mobilisation qui a porté ses fruits : Aurélien Viers est réintégré, un texte d’explication est publié à la Une, la charte de déontologie sera revue.

Aurélie Biagini, déléguée syndicale CFDT à La Provence, n’est hélas pas surprise : « Nous avions, élus CFDT, alerté dès le départ. Nous étions inquiets, alors que les chambres consulaires et entrepreneurs influents du territoire signaient une motion de soutien en faveur de la reprise du titre par la CMA-CGM« .

Les craintes de la CFDT au moment du rachat étaient bien fondées

Rappelons en effet que les craintes sur l’indépendance éditoriale, la CFDT, contre d’autres organisations syndicales, les avait largement exprimées lors des offres de rachat de la Provence, quand Rodolphe Saadé (CMA-CGM) était en concurrence avec l’offre de Xavier Niel. CMA-CGM mettait plus d’argent sur la table, mais c’était un énorme acteur économique local. Malgré notre combat, l’offre de Xavier Niel  n’avait pas été présentée au CA de la Provence ni aux salariés et leurs représentants. La CFDT avait estimé que c’était fort regrettable, les collègues travaillant pour des médias dont Xavier Niel est actionnaire (Le Monde, France Antilles, Nice Matin…) attestant du respect de la déontologie des rédactions. Tout montre aujourd’hui que nous avions raison de nous méfier ! Et nous avons été si peu écoutés à l’époque !

Car s’ajoute au risque éditorial celui des conditions de travail. Ce n’est pas parce qu’on dépend d’un milliardaire qu’on est payé grassement ou dispose du temps nécessaire pour bien travailler ! « Dès avant le rachat nous savions que les départs en clause, à la suite du rachat, le seraient par des contrats en CDD. Et il y a quelques mois, c’est 60 suppressions de poste qui ont été annoncées d’ici septembre 2024, dont 30 de journalistes (sur 178 journalistes en tout). Une coupe franche dans les effectifs, qui aggrave encore nos conditions de travail », poursuit Aurélie Biagini.

« Il ne s’agit pourtant pas de s’en tenir à ce constat. Aujourd’hui nous continuons notre travail pour essayer de trouver le meilleur cadre de fonctionnement malgré tout », veut-elle espérer. Sur le feu, ce chantier de la charte d’éthique.

Courage, les collègues !

Relire nos positions de mai 2022 sur le rachat de la Provence


« Madame Dati, il est urgent de garantir l’indépendance des rédactions », demande un collectif de journalistes, médias, syndicats et associations

Après la crise intervenue au quotidien « La Provence », près de soixante-dix sociétés de journalistes, médias, syndicats et collectifs appellent la ministre de la culture à soutenir la proposition de loi transpartisane visant à protéger la liberté éditoriale des médias.

Publié le 26 mars 2024 à 12h00  dans le Monde

La mise à pied du directeur de la rédaction de La Provence nous alerte. Comme, avant elle, la crise au Journal du dimanche ou celle des Echosqui dure maintenant depuis près d’un an. Les atteintes à l‘indépendance des rédactions se répètent. A chaque fois, les consciences se réveillent, puis se rendorment, et rien ne change.

L’avenir nous inquiète à la vue des explications fournies le 19 mars aux élus du comité social et économique (CSE) du groupe Altice par Rodolphe Saadé, nouvel acquéreur des chaînes BFM-TV et RMC. Comment ne pas s’alarmer en entendant Monsieur Saadé indiquer à cette occasion qu’il ne « réagirait pas bien » et « le ferait savoir » si un scandale concernant son groupe CMA CGM était dévoilé dans un média dont il est actionnaire, rappelant que pour lui, si l’information existe, « il y a manière et manière » ?

Madame la ministre, la seule et unique manière de produire de l’information de qualité, vérifiée, sourcée, et honnête, c’est de garantir l’indépendance des journalistes et des rédactions.

Les journalistes n’ont pas vocation à servir les intérêts personnels, économiques ou politiques des actionnaires de leur média. Ils et elles ne sont pas là pour servir un agenda politique, ou la stratégie de communication du gouvernement.

Lorsque leur indépendance est menacée ou bafouée, ce ne sont pas les intérêts d’une corporation qui sont atteints, mais le débat public, et donc l’intérêt général. Si l’on ne garantit pas aux citoyens et aux citoyennes l’accès à une information pluraliste, de qualité, alors nous fragilisons la vie démocratique.

Vous avez affirmé, le 21 mars, lors de votre audition devant la commission d’enquête sur les autorisations de diffusion sur la TNT, que la loi garantissait suffisamment cette indépendance. La mise à pied du directeur de la rédaction de La Provence le lendemain, levée ce lundi 25 mars à la suite d’une grève de la rédaction, a démontré le contraire. Et une mission parlementaire vient de souligner les nombreuses lacunes et faiblesses de la législation actuelle (loi Bloche de 2016). Vous ne pouvez pas l’ignorer.

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Le droit d’opposition et les clauses de cession sont indispensables, mais ils ne sont pas suffisants. Ils permettent aux journalistes de se protéger individuellement, d’avoir une sortie de secours en cas de désaccord. Mais que devient le citoyen lecteur, auditeur, ou la citoyenne lectrice, auditrice, une fois que les journalistes sont partis et que l’actionnaire a tout pouvoir ? Devant quel type d’information se retrouvent-ils ? Garantissons-nous leur droit à l’information libre et éclairée ?

L’agenda politique vous offre une occasion d’agir concrètement et immédiatement. Une proposition de loi transpartisane, déposée il y a plus de six mois afin de protéger la liberté éditoriale des médias, vient enfin d’être inscrite à l’agenda parlementaire. Après un examen en commission, le texte sera débattu le 4 avril.

Si plusieurs dizaines d’amendements ont déjà été déposés, aucun n’émane du gouvernement, qui brille par son absence d’investissement sur ce texte. Or la proposition de loi, qui entend donner aux journalistes un droit d’agrément sur la nomination du responsable de la rédaction, est un important premier pas vers le renforcement de l’indépendance des rédactions.

D’autres mesures devront suivre. Les Etats généraux de la presse indépendante ont formulé, en novembre 2023, « 59 propositions pour libérer l’information » qui dessinent une réforme ambitieuse de la presse. Mais la moindre des choses est de franchir ce premier pas, en soutenant cette proposition de loi.

Nous insistons, il s’agit de défendre et protéger l’intérêt général.

Pour cela, nous, associations de citoyens, citoyennes et de journalistes, et médias indépendants, qui portons ce combat, vous demandons de renforcer la loi pour garantir l’indépendance des rédactions.

Appel initié par les associations Article 34, Un Bout des Médias, Fonds pour une presse libre et Sherpa.

Signatures :

Les sociétés de journalistes (SDJ) et de rédacteurs (SDR) de l’Agence France-Presse, Arrêt sur images, Arte, BFM-TV, Blast, Challenges, Courrier international, Elle, Epsiloon, France 24, France 3 rédaction nationale, Franceinfo.fr,FranceinfoTV, La Tribune, La Vie, Le Figaro, Le Monde, Les Echos, L’Express, Le Point, L’Humanité, Libération, L’Informé, Le Nouvel Obs, Le Parisien – Aujourd’hui en France, L’Usine nouvelle, M6, Marianne, Mediapart, Premières lignes, Public Sénat, Radio France, rédaction nationale France Télévisions, RFI, RMC, RTL, « Sept à huit », Télérama.

Les médias Disclose, Forbidden Stories, Mediapart, Mediacités, Le Courrier des Balkans, Grand Format, Au Poste, Rue89 Bordeaux, Rue89 Lyon, Rue89 Strasbourg, Reflets info, Off Investigation, Journal Le Crestois, L’Arrière-Cour, Chabe, Mediavivant, Politis, We Report, Splann!, Afrique XXI.

Les syndicats, collectifs, associations : CFDT-Journalistes, Syndicat national des journalistes (SNJ), syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT), FILPAC-CGT, Informer n’est pas un délit (INPD).

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